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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HELOlSE.

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dessus ; lorsqu’il sera nécessaire, à cause de la tonsure, on ajoutera un bonnet de peau d’agueau.

XIII. Ce n’est pas seulement dans la nourriture et l’habillement qu’il faut éviter le superflu, c’est aussi dans les bâtiments et tous les autres biens. Quant aux bâtiments, s’ils sont plus spacieux ou plus beaux qu’il n’est né- cessaire, si nous les ornons de peintures ou de sculptures, ce ne sont plus des asiles de pauvres, ce sont des palais de rois, t Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête, dit saint Jérôme, et vous possédez de vastes portiques et des bâtiments immenses ? » Se plaire à avoir de beaux chevaux, des che- vaux de prix, ce n’est pas seulement de la superfluité, c’est évidemment une vanité pure. Multiplier ses troupeaux, étendre ses domaines, c’est donner carrière à l’ambition des biens extérieurs. Et plus nous possédons sur cette terre et plus nous sommes forcés de penser à ce que nous possédons, plus nous sommes détournés de la contemplation des choses du ciel. Notre corps a beau être enfermé dans un cloître : l’âme, attachée à ces possessions du dehors, est forcée de les suivre ; elle se répand çà et là avec elles. Nous sommes d’autant plus en proie à la crainte, que nous possédons plus de choses qui peuvent être perdues. Plus ces choses ont de valeur, et plus nous les aimons, plus elles tiennent notre misérable cœur enchaîné à leur poursuite.

11 faut donc songer à fixer une mesure aux dépenses de notre maison, de façon à ne rien chercher au delà du nécessaire, à ne recevoir aucune offrande, à ne garder aucuu dépôt. Tout ce qui dépasse le nécessaire, nous ne le pos- sédons qu’à titre de vol, et nous sommes coupables de la mort d’autant de pauvres que nous aurions pu en secourir avec ce superflu. Chaque année donc, après la récolte, il faudra assurer les besoins de l’année. Le reste, on le donnera, ou plutôt on le restituera aux pauvres.

11 en est qui, ignorant la mesure de la sagesse, se font honneur d’avoir une maison nombreuse, n’ayant que peu de revenus ; et pour subvenir à ces lourdes charges, ils vont impudemment mendier, quand ils n’arrachent pas violemment ce qu’on ne leur veut point donner. Tels nous voyous aujour- d’hui certains supérieurs, qui, fiers du nombre de leurs religieux, tiennent moins à en avoir de bons qu’à en avoir beaucoup, et s’estiment d’autant plus grands qu’ils sont grands au milieu d’un plus grand nombre. Pour attirer les novices dans leurs maisons, au lieu de leur annoncer des austé- rités, ils leur promettent toutes sortes de douceurs, et, les recevant sans examen ni épreuve, ils les perdent par l’apostasie. C’est contre eux, sans doute, que Jésus-Christ s’élevait par ces paroles : c Malheur à vous qui parcourez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et qui, l’ayant fait, le rendez deux fois plus que vous digne de l’enfer ! » Certes ils seraieut moins fiers de la multitude de leurs religieux, s’ils cherchaient le salut des âmes plutôt que le nombre des prosélytes, et s’ils présumaient moins de leurs forces dans la conduite de leur oominuuauté.