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nous signons et nous entrons dans nos stalles. Après vigiles, tout le monde sort. S’il ne fait pas jour, on allume et on reste tranquille dans le chapitre. S’il fait jour, prime suit aussitôt… Après prime, messe du matin. Puis, chapitre. Au sortir du chapitre, lecture jusqu’à tierce, si le temps le permet. Suit tierce, puis la grand’messe, et après la grand’messe, sexte immédiatement. Après sexte, lecture jusqu’à none. Après none on va au réfectoire ; on écoute la lecture en grand silence. Au tu autem, on se met en marche en ordre, chantant les prières, et on entre à la chapelle. Les prières finies, on se rend au chapitre pour entendre quelque sermon d’édification. Puis vêpres. Après vêpres, méditation, priant de cœur, sans aucun signe extérieur, dans le plus profond silence. Puis collation et complies. Après le requiescat in pace, on fait la prière dans les stalles. Au signal de l’abbesse, on se signe, on sort en ordre, les plus âgées les premières ; l’abbesse donne l’eau bénite. On monte au dortoir, chacune se rend à son lit et se couche ceinte et habillée[1]… » Voilà les austérités froides dans lesquelles avait été jetée toute vive cette âme de feu. Mais Héloïse avait promis de se soumettre ; elle s’y était engagée vis-à-vis d’elle-même ; elle se tient parole. Autant le ton de ses réponses jusque-là était vif, pressant, tumultueux, autant il devient grave et recueilli. Il semble qu’aux sourds grondements d’une nuit de tempête ait succédé le calme d’une aube pure. Elle avait demandé à Abélard, tant en son nom qu’au nom de ses compagnes, une histoire de l’origine des ordres de religieuses et une Règle pour le Paraclet. Allant elle-même au-devant des prescriptions qu’elle sollicite, elle développe ses idées personnelles sur les fondements de la discipline monacale, tels qu’elle en comprend l’application à des femmes, et sa haute raison se déploie dans cet exposé de principes avec une remarquable sérénité. Elle ne se fait pas illusion sur les faiblesses et les désordres de son temps ; elle sait que, « si l’on se précipite dans la vie monastique, on y vit plus irrégulièrement encore d’ordinaire qu’on n’y est entré, et qu’on y brave la règle d’autant plus facilement qu’on l’a acceptée sans la connaître[2]. » D’autre part, elle se refuse à attacher une importance souveraine aux pratiques extérieures. « Communes aux réprouvés et aux pénitents, aux hypocrites et aux vrais dévots, dit-elle, elles ne peuvent avoir qu’un médiocre mérite aux yeux de Dieu, et ne sau-

  1. Extraits du règles du Paraclet, p. 360.
  2. Lettres, VI, § 7, p. 152.