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d’avec le sien. C’est avec elle et par elle qu’il veut mériter le bonheur des élus. Il lui envoie la formule même de la prière que, tous les jours, elle doit adresser à Dieu pour leur commune expiation. Et cette prière est, sans contredit, ce qu’il a écrit de plus ému. L’amour humain s’y mêle, dans ce qu’il a de plus pur et de plus exquis, à tout ce que la raison chrétienne peut inspirer de plus solide et de plus haut. Aussi peut-on croire que ce n’est pas seulement par obéissance qu’Héloïse avait cédé au dernier appel dont ce formulaire était l’expression ; elle a senti que la sollicitude d’une pensée amie lui était rendue.


III


Les Lettres de direction proprement dite, ainsi que les morceaux divers qui s’y rattachent, soulèvent les plus graves questions d’histoire et de morale. Mais, outre que le simple exposé de ces questions nous entraînerait trop loin, elles ont été l’objet d’une étude magistrale[1]. Notre unique prétention est de relever, dans cette seconde phase de la correspondance d’Abélard et d’Héloïse, comme nous l’avons fait pour la première, ce qui peut préparer à en comprendre et à en goûter l’esprit.

Si les lettres qui se rapportent à cette phase nouvelle diffèrent essentiellement des précédentes par les matières qui en sont le sujet, elles participent au fond du même sentiment, de la même vie ; elles en sont la suite naturelle et le couronnement. Toutefois, le premier effet qu’on éprouve, en les abordant, est celui d’un saisissant contraste. Rien de plus sévère que la vie à laquelle Héloïse avait été vouée. « Au premier tintement, dit-elle dans la description qu’elle en fait, nous nous levons en hâte pour vigiles… Le tintement fini, au signe de la prieure, nous faisons les prières d’usage, les jours de fête, à genoux ; les jours ordinaires, prosternées. Les prières faites, nous

  1. Abélard, etc, par M. de Rémusat, liv. II et suiv. Cf. J. Simon, étude citée. Ch. Lévêque, ouvrage cité ; Dictionnaire des sciences philosophiques, publié sous la direction de M. Ad. Franck, art. Abélard ; J.-P. Charpentier, ouvrage cité. Voir aussi l’Essai historique, de M. et Mme Guizot, placé en tête de la traduction de M. Oddou. On peut encore consulter : Michelet, Histoire de France, II, ch. 4 ; Jos. Berington, The history of the lives of Abeillard and Heloisa, 1793 ; Fessler, Abœlard and Heloisa, 1808 ; Moriz Carrière, Abaelard und Heloise, 1814 : Feuerbach, Abaelard und Heloise, 1844 ; Gallia Christiana, t. xii, col. 567 et seq. ; Brucker, Hist. crit, III, p 755, etc.