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d’un enfant envoyé du ciel sur la terre pour effacer les péchés du monde entier et ouvrir aux hommes une ère pleine de merveilles ; il le dit lui-même, il avait été éclairé à ce sujet par l’oracle de Cumes, c’est-à-dire par la Sibylle. Et il semble, par ces vers, convier les hommes à se réjouir, à chanter et à écrire sur la naissance future de ce sublime enfant ; auprès de ce fait, tous les autres sujets lui paraissent faibles et grossiers : « Muses de Sicile, dit-il, élevons un peu le sujet de nos chants ; les arbrisseaux et l’humble bruyère ne plaisent pas à tout le monde. Voici que sont arrivés les temps prédits par l’oracle de Cumes ; les siècles vont se dérouler dans un ordre nouveau. Déjà reviennent et la Vierge et le règne de Saturne. Déjà une race nouvelle descend du haut des cieux. » Pesez toutes les paroles de la Sibylle : quel résumé clair et complet de ce que la foi chrétienne doit croire de Jésus-Christ ! Elle n’a rien oublié, ni sa divinité, ni son humilité, ni sa venue pour les deux jugements ; le premier par lequel il a été injustement condamné aux tourments de la passion, le second par lequel il viendra dans sa majesté juger le monde suivant les lois de la justice. Elle fait mention et de sa descente aux enfers et de la gloire de sa résurrection ; et en cela, elle s’élève au-dessus des prophètes, que dis-je ? au-dessus des évangélistes eux-mêmes, qui, de la descente aux enfers ne disent presque rien.


VIII. Peut-on ne pas admirer l’entretien aussi familier qu’étendu dont Jésus-Christ daigna seul à seule honorer la Samaritaine, une païenne, avec tant de bonne grâce que les Apôtres eux-mêmes n’en retenaient point leur étonnement ? Après l’avoir réprimandée sur son aveuglement et sur la multitude de ses amants, il voulut lui demander à boire, lui qui, nous le savons, ne demanda jamais d’aliments à personne. Les Apôtres se présentent aussitôt et lui offrent des vivres qu’ils viennent d’acheter. Maître, mangez, disent-ils. Mais, nous le voyons, il refuse, en leur disant, pour les remercier de leur service : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas. » Il demande à boire à cette femme, et celle-ci décline une telle faveur. « Comment, vous qui êtes Juif, dit-elle, me demandez-vous à boire, à moi qui suis Samaritaine ? les Juifs n’ont pas commerce avec les Samaritains ; vous n’avez rien, d’ailleurs, ajoute-elle, pour puiser de l’eau, et le puits est profond. » Ainsi il demande à boire à une femme infidèle qui lui en refuse, et il ne se soucie pas des aliments que lui offrent ses apôtres. Quelle grâce témoignée au sexe faible, je vous prie, que de demander de l’eau à cette femme, lui qui donne la vie à tout le monde ! Quel est le but de cette leçon, si ce n’est de montrer que la vertu des femmes lui est d’autant plus agréable que leur nature est plus faible, et qu’il a d’autant plus soif de leur salut que leur vertu est plus admirable ? Aussi, quand il demande à boire à une femme,