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composaient même comme eux de divins cantiques ; les saintes Écritures en font foi. En effet, elles ont commencé par chanter en commun avec les hommes le cantique sur la délivrance d’Israël, et, dès ce moment, elles eurent le droit de célébrer les offices divins dans l’église, ainsi qu’il est écrit : « Marie la prophétesse, sœur d’Aaron, prit un tambour dans sa main, et toutes les femmes sortirent derrière elle avec des tambours et en formant des chœurs, après qu’elle eût entonné ce cantique : « Chantons en l’honneur du Seigneur, car sa grandeur a éclaté glorieusement. » Et il n’est pas question, en cet endroit, que Moïse ait fait acte de prophète ; il n’est point dit qu’il ait entonné le cantique avec Marie, ni que des hommes aient pris le tambour et formé des chœurs comme les femmes. Quand donc Marie, entonnant le cantique, est appelée prophétesse, cela veut dire qu’elle a moins entonné ou chanté ce cantique qu’elle ne l’a produit en prophétisant. Si elle est représentée l’entonnant avec les autres, c’est pour montrer l’ordre et l’harmonie qui régnaient dans leurs chants. Quant aux tambours qui accompagnaient les voix et aux chœurs qu’elles formaient, ce n’est pas seulement le signe de la grande piété des femmes, c’est aussi le symbole mystique de la célébration du divin office dans nos communautés monacales. Aussi le Psalmiste nous exhorte-t-il à les imiter : « Louez-le Seigneur, dit-il, avec des tambours et des chœurs, » c’est-à-dire par la mortification de votre corps et par cet accord de charité dont il est écrit : « La multitude des fidèles n’avait qu’un cœur et qu’une âme. » Il n’est pas jusqu’à ce qu’elles ont fait pour chanter le Seigneur qui ne renferme un sens mystique : leur allégresse est une figure de la vie contemplative. En effet, l’âme, en s’attachant aux choses du ciel, abandonne, pour ainsi dire, la tente du terrestre séjour ; et, du fond de sa douce contemplation, elle entonne triomphalement l’hymne spirituel en l’honneur de Dieu.

Nous trouvons encore dans l’Ancien Testament les cantiques de Débora, d’Anne et de Judith la veuve, comme dans l’Évangile celui de Marie, mère du Seigneur. En effet, Anne offrant au tabernacle Samuel, son jeune enfant, donna aux monastères, par cet exemple, le droit de recevoir des enfants. C’est pourquoi Isidore, écrivant à ses frères établis dans le couvent d’Honorat, leur dit, au chapitre cinq de ses instructions : « Que quiconque sera présenté par ses parents dans un monastère sache qu’il doit y rester toujours ; car Anne a présenté son fils Samuel au Seigneur, et il est demeuré fidèle dans le temple aux fonctions auxquelles il avait été attaché, fidèle au service auquel il avait été consacré. » Et il est notoire que les filles d’Aaron participaient, comme leur frère, au service du sanctuaire et au privilège héréditaire de la tribu de Lévi, si bien que le Seigneur assura leur entretien, ainsi qu’il est écrit au livre des Nombres, dans le passage où il dit lui-même à Aaron : « Toutes les prémices du sanctuaire offertes par les enfants d’Israël, je vous les ai données, à vous, à vos fils et à vos frères, pour toujours. » Il ne parait donc pas qu’il ait jamais été fait aucune distinction entre la