Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/213

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE.

Que nous enseignent tous ces préceptes, sinon de vivre suivant la sagesse chrétienne et de faire servir, comme Jacob, les animaux domestiques à la nourriture de notre père, au lieu d’aller, comme Ésaü, chercher ceux des forêts et de judaïser dans les pratiques extérieures. De là ce précepte du Psalmiste : « Le souvenir des vœux que je vous ai faits, Seigneur, est en moi, et je les réaliserai en actions de grâce. » À cette parole, ajoutez celle du poète : « Ne vous cherchez pas hors de vous-même. »

Les témoignages abondent dans les auteurs profanes comme dans les auteurs sacrés, qui nous apprennent qu’il ne faut pas attacher une importance souveraine aux actes qu’on appelle extérieurs et indifférents. Autrement les œuvres de la loi et l’insupportable servitude de son joug, comme dit Pierre, seraient préférables à la liberté de l’Évangile, au joug aimable de Jésus-Christ et à son poids léger. Pour nous inviter à recevoir ce joug aimable et ce léger fardeau, Jésus-Christ lui-même nous dit : « venez, vous qui travaillez et qui êtes chargés. » C’est pourquoi l’apôtre saint Paul réprimandait vivement certains juifs, convertis à Jésus-Christ, mais qui pensaient encore accomplir les œuvres de l’ancienne loi, dans ce passage des Actes des Apôtres où il dit : « hommes, mes frères, pourquoi tenter Dieu, pourquoi vouloir imposer aux disciples un joug que ni nos pères ni nous n’avons pu porter ? Nous n’en croyons pas moins être sauvés, comme eux, par la grâce de Notre Seigneur Jésus. »

XI. Vous donc, qui êtes non-seulement un disciple de Jésus-Christ, mais un fidèle imitateur de l’Apôtre, qui en avez la sagesse aussi bien que le nom, mesurez-nous, je vous en prie, la règle des œuvres, en sorte qu’elle convienne à la faiblesse de notre sexe et que nous puissions être occupées surtout à rendre gloire au Seigneur. C’est ce sacrifice que le Seigneur recommande après avoir rejeté tous les sacrifices extérieurs, quand il dit : « si j’ai faim, je ne vous le dirai pas ; car la terre entière est à moi et tout ce qu’elle contient. Croyez-vous que je mange la chair des taureaux ? que je boive le sang des boucs ? Offrez à Dieu un holocauste de louanges, accomplissez envers le Très-Haut les vœux que vous avez faits, invoquez-moi au jour de la détresse, et je vous en tirerai, et vous m’honorerez. »

Nous ne disons pas cela dans l’intention de repousser tout travail corporel, lorsque la nécessité l’exigera, mais afin de n’avoir pas à attacher trop d’importance aux œuvres qui n’intéressent que le corps et qui nuisent à la célébration de l’office divin ; puisque, au témoignage de l’Apôtre, les femmes vouées à Dieu jouissent du privilège de vivre des dons de la charité plutôt que du produit de leur travail. Ce qui fait dire à saint Paul, dans sa lettre à Timothée : « si quelque fidèle a des veuves, qu’il subvienne à leurs besoins, et que l’Église n’en soit point chargée, afin qu’elle ait assez pour celles qui sont les véritables veuves. » Or, il appelle véritables veuves les femmes vouées à Jésus-Christ, dont le mari est mort, pour lesquelles mort est le monde et qui sont elles-mêmes mortes à lui. Voilà celles qu’il convient