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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE.

qu’elles s’enivrent plus difficilement. C’est une observation que Théodore Macrobe, dans le septième livre des Saturnales, énonce en ces termes : « Aristote dit que les femmes s’enivrent rarement, et les vieillards souvent. La femme a naturellement le corps très-humide ; le poli et l’éclat de sa peau l’indiquent ; les purgations périodiques qui la débarrassent des humeurs superflues en sont aussi la preuve. Quand donc le vin qu’elle boit tombe dans cette masse d’humeurs, il perd sa force, sa chaleur s’y éteint et monte moins aisément jusqu’au cerveau. » Et ailleurs : « Le corps de la femme, purifié par de fréquentes purgations, est un tissu percé d’une infinité de trous à travers lesquels s’écoule incessamment l’humeur qui s’y amasse et qui cherche une issue. C’est par ces trous que s’exhale en un instant la vapeur du vin. Chez les vieillards au contraire, le corps est sec, comme la prouvent la rudesse et la couleur terne de la peau. »

D’après cela, y aurait-il donc inconvénient, n’y aurait-il pas plutôt justice à nous laisser, eu égard à notre faiblesse, toute liberté sur le boire et le manger, puisque, grâce à notre constitution, les excès de la gourmandise et de l’ivresse sont difficiles chez nous, et que notre frugalité nous préserve de l’une, notre tempérament de l’autre. Ce serait assez pour notre faiblesse, ce serait même beaucoup, si, vivant dans la continence et dans la pauvreté, tout entières au service de Dieu, nous pouvions égaler dans notre manière de vivre les chefs de l’Église, les pieux laïques, ou ceux enfin que l’on appelle chanoines réguliers et qui professent pour règle de prendre modèle sur la vie des Apôtres.

Enfin c’est une marque de grande sagesse, chez les personnes qui se consacrent à Dieu, de restreindre leurs vœux, en sorte, qu’en réalité, elles tiennent plus qu’elles n’ont promis, et ajoutent toujours quelque chose, par surérogation volontaire, aux obligations qu’elles ont contractées. C’est ainsi que la Vérité a dit elle-même : « Lorsque vous aurez accompli tout ce qui est ordonné, dites : nous sommes des serviteurs inutiles ; ce que nous avons fait, nous étions obligés de le faire. » C’est comme s’il était dit, en termes expressifs : vous êtes des gens inutiles, sans valeur, sans mérite, qui vous contentez d’acquitter ce que vous devez et n’ajoutez rien par surérogation volontaire. Au sujet de ces surérogations volontaires, le Seigneur lui-même, parlant en parabole, dit : « Si vous mettez quelque chose du vôtre, lorsque je reviendrai, je vous le rendrai. »

Si beaucoup de ceux qui s’engagent légèrement aujourd’hui dans la vie monastique réfléchissaient davantage, s’ils considéraient la portée de leur engagement, s’ils examinaient à fond et scrupuleusement l’esprit de la règle à laquelle ils se vouent, ils l’enfreindraient moins par ignorance, ils pécheraient moins par négligence. Mais à présent que tout le monde se précipite aveuglément dans la vie monastique, on y vit plus irrégulièrement encore qu’on n’y est entré ; on brave la règle aussi aisément qu’on l’a acceptée sans la connaître ; on se pose comme lois les usages qui plaisent. Les femmes