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LETTRE SIXIÈME
RÉPONSE D’HÉLOÏSE À ABÉLARD
SOMMAIRE
Dans cette lettre, Héloïse prie instamment Abélard de lui répondre à elle et à ses religieuses sur deux points principaux. Qu’il leur apprenne d’abord l’origine de leur état ; en second lieu, qu’il leur donne une règle, qu’il leur dicte les conditions d’un genre de vie qui convienne spécialement à des femmes, ce dont aucun des saints Pères ne s’est occupé. Elle ajoute pourquoi, dans son opinion, les saints Pères n’ont pas donné de règle aux religieuses : c’est qu’il suffit, selon elle, que les femmes ne restent pas, en fait de continence et d’abstinence, au-dessous des clercs et des ecclésiastiques séculiers ou des moines réguliers. Elle s’étend sur la règle de Saint-Benoît, et en discute les observances, particulièrement en ce qui touche l’interdiction de manger de la viande et la permission de boire du vin. Elle traite longuement aussi des actes extérieurs, dont elle rabaisse l’importance, et qu’elle place bien après les actes intérieurs. Enfin, elle prie Abélard de ne point montrer trop de rigueur dans la question des jeûnes et des pratiques, eu égard à la faiblesse dit sexe féminin.
On remarquera dans cette lettre l’érudition d’Héloïse et son intelligence remplie de toute sorte de connaissances. Il n’est point de marchandise de prix qu’on ne puisse trouver dans ce riche magasin, qu’on cherche de la philosophie, de la théologie ou même de l’éloquence. Ô siècle fortuné que celui qui put jouir d’une telle femme, d’une femme où l’admiration ne sait ce qu’elle doit mettre en première ou en dernière ligne.
À son souverain maître, sa servante dévouée.

I. Je ne veux pas que vous puissiez, en quoi que ce soit, m’accuser de désobéissance ; j’ai imposé à l’expression de ma peine, toujours prête à s’emporter, le frein de votre défense ; ma plume, en vous écrivant, saura arrêter ce que, dans nos entretiens, il serait difficile, que dis-je ? impossible à mes lèvres de contenir. En effet, il n’est rien de moins en notre puissance que notre cœur, et loin de pouvoir lui commander, nous sommes forcés de lui obéir. Aussi, lorsque ses mouvements nous pressent, personne n’est-il assez le maître d’en repousser les impulsions soudaines : elles éclatent, se traduisent au dehors par le langage, cet interprète trop ému des passions, selon qu’il est écrit : « c’est de l’abondance du cœur que la bouche parle. »