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L’éloge venant de vous est d’autant plus dangereux pour moi qu’il m’est plus doux. Il me séduit, il m’enivre d’autant plus que j’ai un plus grand désir de vous plaire. Ayez toujours plus de crainte que de confiance en ce qui me touche, je vous en supplie, afin que votre sollicitude soit toujours prête à me venir en aide. Hélas ! c’est aujourd’hui surtout qu’il faut craindre, puisque mon incontinence ne peut plus trouver de remède en vous.

Non, je ne veux pas que, pour m’exhorter à la vertu et pour m’exciter au combat, vous disiez : « C’est le malheur qui met le sceau à la vertu, » et : « Celui-là ne sera pas couronné, qui n’aura pas combattu jusqu’au bout. » Je ne cherche point la couronne de la victoire ; ce m’est assez d’éviter le péril. Il est plus sûr de fuir le danger que d’engager la bataille. Dans quelque coin du ciel que Dieu me donne une place, il aura fait assez pour moi. Là, personne ne portera envie à personne, chacun se contentera de son sort.

Pour donner, moi aussi, à mes conseils l’appui d’une autorité, écoutons saint Jérôme. « J’avoue ma faiblesse, dit-il, je ne veux pas combattre dans l’espérance de remporter la victoire, de peur de la perdre. » Faut-il abandonner le certain pour suivre l’incertain ?