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LETTRE QUATRIÈME

RÉPONSE D’HÉLOISE À ABÉLARD


SOMMAIRE
Dans cette lettre, remplie de gémissements et de cris de douleur, Héloïse déplore son malheureux sort, celui de ses religieuses et celui d’Abélard lui-même, en prenant pour texte de ses lamentations le passage de la lettre précédente, dans lequel Abélard parle de la fin de sa vie. Elle a recours à la plus tendre des éloquences, et ses plaintes, touchant le cœur de compassion pour ses malheurs et ceux d’Abélard, arracheraient presque des larmes. Elle déplore la mutilation subie par Abélard. Elle se plaint aussi de ses désirs brûlants, et rappelle les voluptés délicieuses qu’elle a goûtées jadis avec lui. Enfin elle rabaisse, non sans justesse, le caractère tout extérieur de sa dévotion, et confesse que sa piété est plus feinte que sérieuse. Elle supplie Abélard de l’aider de ses prières et elle repousse humblement ses louanges.


À celui qui est tout pour elle après Jésus-Christ, celle qui est toute à lui en Jésus-Christ.


I. Je m’étonne, ô mon bien suprême, que dérogeant aux règles du style épistolaire et même à l’ordre naturel des choses, vous ayez pris sur vous, dans le titre et la salutation de votre lettre, de mettre mon nom avant le vôtre, c’est-à-dire la femme avant l’homme, l’épouse avant le mari, la servante avant le maître, la religieuse avant le religieux et le prêtre, la diaconesse avant l’abbé. Il est, en effet, dans l’ordre et les convenances, lorsque nous écrivons à des supérieurs ou à des égaux, de placer leurs noms avant les nôtres ; et si l’on s’adresse à des inférieurs, l’ordre des noms doit suivre celui des dignités.

Une autre chose nous a étonnées et émues : votre lettre qui aurait dû nous apporter quelque consolation n’a fait qu’accroître notre douleur ; la main qui devait essuyer nos larmes en a fait jaillir la source. Qui d’entre nous, en effet, aurait pu, sans fondre en pleurs, entendre le passage de la fin de votre lettre où vous dites : « S’il arrive que le Seigneur me livre entre les mains de mes ennemis, et que mes ennemis, triomphants, me donnent la mort… » Ô mon bien-aimé, une telle pensée a-t-elle pu vous venir