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raient dit encore mes détracteurs, s’ils avaient vu Malchus, ce moine captif dont parle saint Jérôme, vivant avec son épouse dans une commune retraite ? Comme ils auraient condamné ce que le saint docteur exalte en ces termes : « Il y avait là un vieillard, nommé Malchus, né dans l’endroit même ; une vieille femme partageait sa demeure : tous deux pleins de zèle pour la religion, et tellement assidus sur les marches de l’église, qu’on les aurait pris pour le Zacharie et l’Élisabeth de l’Évangile, si Jean avait pu être au milieu d’eux ! » Pourquoi enfin la calomnie ne s’attaque-t-elle pas aux saints Pères qui, ainsi que nous le lisons à chaque page de l’histoire, ainsi que nous l’avons vu, ont établi et entretenu tant de monastères de femmes, à l’exemple des sept diacres par lesquels les apôtres se firent remplacer auprès des religieuses dans tous les soins de l’approvisionnement et du service ! En effet, le sexe faible ne peut se passer de l’aide du sexe fort. Aussi l’Apôtre déclare-t-il que l’homme est la tête de la femme, et c’est en signe de cette vérité qu’il ordonne à la femme d’avoir toujours la tête voilée. C’est pourquoi je ne suis pas médiocrement étonné de voir invétérée dans les couvents l’habitude de mettre des abbesses à la tête des femmes, comme on fait les abbés pour les hommes, et la même règle imposée par les vœux aux femmes qu’aux hommes, bien que cette règle contienne plus d’un point qui ne puisse être observé par des femmes, qu’elles soient supérieures ou subordonnées. Que dis je ! presque partout l’ordre naturel est renversé, et nous voyons les abbesses et les nonnes dominer les prêtres auxquels le peuple est soumis, avec une facilité pour les induire en mauvais désirs d’autant plus grande que plus grand est leur pouvoir, plus étroite leur autorité. C’est ce qu’avait en vue le poète satirique, quand il disait : « Rien n’est plus insupportable qu’une femme riche. »

XV. Après de longues réflexions sur ce point, j’étais résolu à faire de mon mieux pour prendre soin de mes sœurs du Paraclet, administrer leurs affaires, augmenter leurs sentiments de soumission eu les tenant en éveil même par ma présence corporelle, et étendre de plus près ma prévoyance à tous leurs besoins. Poursuivi avec plus de persistance et de fureur par mes fils que jadis par mes frères, je voulais me réfugier auprès d’elles, loin des coups de la tempête, comme dans un port tranquille pour y trouver enfin un peu de repos. Ne pouvant plus faire de bien parmi les moines, peut-être pourrais-je en accomplir un peu pour elles. Ainsi du moins je travaillerais à mon salut avec d’autant plus d’efficacité, que mon soutien était plus nécessaire à leur faiblesse. Mais tels sont les obstacles que la haine de Satan a multipliés autour de moi, que je ne puis trouver un abri pour nie reposer, que dis-je ? pour vivre. Errant, fugitif, il semble que je traîne partout la malédiction de Caïn. Je le répète, « au dehors les combats, au dedans les craintes, » me tiennent incessamment en proie. Bien plus, au dehors et au dedans tout à la fois, c’est un assaut sans cesse renaissant de combats et de craintes. Les persécutions de mes fils sont cent fois plus infa-