quand j’envisageais ceux auxquels j’étais exposé, mes épreuves passées
ne me paraissaient plus rien, et je me répétais en gémissant : « Ce châtiment
est juste : j’ai abandonné le Paraclet, c’est-à-dire le Consolateur,
et je me suis précipité moi-même dans la désolation ; pour éviter des menaces,
j’ai été chercher le danger. » Ce qui surtout me torturait, c’était la
pensée, qu’après avoir abandonné mon oratoire, je ne pouvais prendre les
mesures nécessaires pour y faire célébrer l’office divin : l’extrême pauvreté
de l’endroit suffisait à peine à l’entretien d’un desservant. Mais le véritable
Paraclet apporta lui-même une consolation à cette douleur, et il pourvut à
son oratoire, comme il convenait.
Il arriva, en effet, que l’abbé de Saint-Denis ayant réclamé et obtenu
comme une annexe autrefois soumise à sa juridiction l’abbaye d’Argenteuil,
— dans laquelle ma sœur en Jésus-Christ, plutôt que mon épouse, avait
pris l’habit, — expulsa violemment la congrégation des nonnes dont elle
était prieure. Les voyant dispersées de tous côtés par l’exil, je compris que
c’était une occasion qui m’était offerte par le Seigneur pour assurer le service
de mon oratoire. J’y retournai donc ; j’invitai Héloïse à venir avec les religieuses
de sa communauté ; et lorsqu’elles furent arrivées, je leur fis donation
entière de l’oratoire et de ses dépendances, donation dont, avec l’assentiment
et par l’intervention de l’évêque du diocèse, le pape Innocent II leur
confirma le privilège à perpétuité pour elles et pour celles qui leur succéderaient.
Pendant quelque temps, elles vécurent dans la misère et la désolation.
Mais un regard de la divine Providence, qu’elles servaient pieusement,
leur apporta bientôt la consolation. Pour elles aussi, le Seigneur se
montrant le véritable Paraclet, toucha de pitié et de bienveillance les populations
environnantes. En une seule année, j’en atteste Dieu, les biens de
la terre se multiplièrent autour d’elles plus que cent années n’auraient pu
le faire pour moi, si je fusse resté. C’est que, si le sexe des femmes est
plus faible, leur détresse émeut d’autant plus aisément les cœurs ; et, comme
aux hommes, leur vertu est aussi plus agréable à Dieu. Or le Seigneur accorda
à notre chère sœur, qui dirigeait la communauté, de trouver grâce
devant les yeux de tout le monde. Les évêques la chérissaient comme leur
fille, les abbés comme leur sœur, les laïques comme leur mère ; tous également
admiraient sa piété, sa sagesse et son incomparable douceur de patience.
Moins elle se laissait voir, plus elle se renfermait dans son oratoire
pour s’absorber dans ses méditations saintes et ses prières, et plus on sollicitait
avec ardeur sa présence et les instructions de ses entretiens.
Tous les voisins me blâmaient vivement de ne pas faire ce que je pouvais,