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CHAPITRE XXI


Avril.

Le printemps commence à essaimer des grappes roses dans la verdure des vieux marronniers de la promenade de Mouzonville. Les Crans se sont déjà parés de leur décoration estivale ; et, autour de Mon-Espoir, la prairie ressemble à un tapis d’émeraude sombre constellé d’étoiles blanches et jaunes, et ondulant doucement au souffle de la brise du soir.

Le jour s’achève… L’Angélus vient de sonner là-bas, au clocher de l’église Saint-Nicolas. Et dans le jardin de Mon-Espoir, des couples sont dispersés…

Trois couples, qu’assis solitaire sur une chaise pliante près de la maison, Aramond considère de loin pensivement et un peu, mélancoliquement, semble-t-il, tout en fumant sa pipe ; tandis que dans la cuisine toute proche, et dont la fenêtre est grande ouverte, on entend un grand bruit de vaisselle et de casseroles remuées : la mère Frossart, qui met en ordre son matériel culinaire.


Car la mère Frossart est toujours cuisinière à Mon-Espoir. Seulement, elle a changé de maître, Mon-Espoir étant devenu la propriété de Miss Strawford, qui, nonobstant le bail en cours, s’y est installée d’office, ne redoutant aucune revendication du locataire ainsi dépossédé de son droit, et qu’on ne reverra certainement jamais à Mouzonville.

En compagnie de son fiancé et de la fidèle Louise, tout de suite rappelée près d’elle, c’est là que, garde-malade incomparable, Mary a voulu soigner elle-même Maud grièvement blessée de deux balles, dont l’une avait traversé le poumon.

Longtemps, Maud a été entre la vie et la mort, et pendant trois semaines, Miss Strawford n’a pour ainsi dire pas quitté le chevet de celle qui s’était dévouée pour son salut, et qu’elle s’était juré d’arracher à la mort.

Enfin, la blessée, hors de péril, a fini par entrer en convalescence. Mais cette convalescence a été longue, et Maud n’est pas encore tout à fait rétablie.

On la sent encore un peu faible et languissante. Et puis, en dépit des attentions et des égards dont elle est entourée par tous, et de l’affection que lui témoigne Mary, qui l’appelle sa sœur Maud, on sent chez la jeune femme comme un fond de timidité triste. Elle cause peu, sourit plus rarement encore, et toujours avec effort. Elle cherche la solitude, et on la voit rêver pendant de longs instants, l’air las et le regard absent, à des choses qui doivent être tristes.

Au lendemain du drame qui a failli lui coûter la vie, lorsqu’on craignait pour ses jours, Mary avait pris sur elle de faire administrer à la blessée les derniers sacrements. Mais une fois hors de danger, et redevenue consciente, ce fut Maud elle-même qui fit rappeler l’archiprêtre de Mouzonville, avec lequel elle s’entretint longuement, et qui, depuis, était revenu plusieurs fois à Mon-Espoir.

La première sortie de la jeune femme, sortie qui datait de la veille, avait eu pour but de rendre au prêtre sa visite ; et en sortant du presbytère,