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Elle arriva devant la promenade des Marronniers, à laquelle ce chemin aboutissait, au moment où la fugitive venait d’y déboucher et s’immobilisait, vraisemblablement indécise, car elle voyait un chemin devant elle et un autre à sa droite. Lequel fallait-il prendre ? Elle se décida pour celui de droite, par lequel on accède directement à la ville, et qui franchit e Mouzon sur un pont se trouvant à l’entrée de la Promenade et appelé le Pont-Vert.

Malheureusement, trompée par la nuit, la fugitive quitta ce chemin presque aussitôt après s’y être engagée, et, obliquant à droite, se trouva soudain au bord de la rivière.

Elle perdit là à s’orienter une bonne minute. Puis elle finit par distinguer à une vingtaine de mètres, sur sa gauche, le pont qu’elle devait traverser, et sous lequel l’eau s’engouffrait en grondant.

Mais au moment où la fugitive longeait rapidement la rive pour atteindre le pont, Miss Ligget arrivait en courant, et les bras étendus lui barrait le passage en criant de sa voix stridente :

— Stop ! On ne passe pas !…

La fugitive s’arrêta.

Alors, Edith baissa les bras, et, s’approchant lentement d’elle, se mit à la considérer longuement, le visage tout près du sien.

À quels indices la belle Américaine parvint-elle enfin à identifier la victime qu’elle poursuivait ? Toujours est-il qu’au bout de quelques instants d’examen, sa haine ne s’y trompa point : elle se trouvait en présence de Miss Strawford.

C’était donc Maud que les balles de Fredo avaient atteinte, et qui gisait là-bas dans la prairie, inanimée, peut-être morte.

— Il me semblait bien…. proféra alors Miss Ligget avec un calme qui avait quelque chose de sinistre. Ah ! c’est vous ? Désolée. Mais vous voilà prise, ou plutôt reprise. Allons, suivez-moi, de bon gré…


Pour Miss Strawford, les événements s’étaient succédé si rapidement qu’il lui semblait vivre des minutes d’irréel, et qu’elle se demandait parfois si elle ne rêvait pas.

Une demi-heure à peine auparavant, elle était encore dans sa chambre, triste et malheureuse, certes, mais confiante en la parole de son geôlier, et soutenue malgré tout par l’espoir. Et maintenant, après les risques d’une évasion périlleuse, après avoir entendu à ses oreilles le sifflement des balles meurtrières, après avoir vu tomber à ses côtés la créature inconnue qui s’était dévouée pour son salut, elle fuyait dans la nuit comme une bête traquée.

Et comme, éperdue, elle jetait un regard autour d’elle :

— Oh ! vous pouvez regarder autour de vous, et même appeler si la cœur vous en dit… reprit Miss Ligget. Vous pensez bien qu’à cette heure et par ce temps nul n’a l’idée de venir se promener par ici. Et les premières maisons habitées sont encore loin, jamais votre voix ne portera jusque-là. Du reste, ajouta-t-elle avec un accent impossible à rendre, plutôt que de vous laisser échapper j’aimerais mieux vous étrangler de mes propres mains, ou vous jeter dans la rivière…