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trouvait à quelque distance d’une localité qu’on avait contournée. Mais quelle était cette localité, voilà ce qu’elle ignorait encore.

Pendant la nuit, au cours de ses heures d’insomnie, en entendant fréquemment siffler des locomotives, elle avait eu l’impression de se trouver non loin d’une gare importante. Ce détail pouvait l’aider à situer le point terminus de l’itinéraire dont elle possédait déjà quelques jalons. Mais il lui aurait fallu une carte. Or, elle n’en possédait pas.

L’important n’était d’ailleurs plus pour elle de savoir où elle se trouvait, mais de trouver, avant qu’il ne fût trop tard, un moyen de soustraire Miss Strawford au danger qui la menaçait.

Avant qu’il ne fût trop tard, c’est-à-dire avant leur départ.

Autrement dit, si elle avait la volonté réelle et sincère de sauver Miss Strawford, Maud ne devait plus compter que sur elle-même.

Car si Maud n’intervenait pas, demain, à pareille heure, les redoutables bacilles typhiques seraient déjà installés dans l’organisme de la prisonnière ; et même si l’on parvenait ensuite à arracher celle-ci à la captivité. il serait trop tard pour l’arracher à la mort. Et la jeune femme n’osait penser à ce que deviendrait sa vie, si le malheur voulait que Miss Strawford succombât.

Mais agir seule ? Braver personnellement d’inévitables risques ? S’exposer directement, en cas de surprise, à la colère et à la vengeance de ses complices ?

Et, d’ailleurs, comment agir ? Que pouvait-elle faire ? Elle aussi, en fait, était prisonnière, puisqu’il lui avait été instamment recommandé de ne sortir de sa chambre sous aucun prétexte, et même d’éviter de se montrer à la fenêtre.

Elle ne pouvait rien, et pourtant l’idée restait en elle qu’il fallait qu’elle tentât au moins quelque chose.

Un peignoir était étendu sur la chaise qui se trouvait près de son lit. Elle s’en vêtit, se leva, alla tirer les doubles rideaux, et, sans toucher aux stores, ni trop s’approcher des vitres, ainsi qu’il lui avait été recommandé, elle regarda dehors.

Le ciel était bas, le temps pluvieux. Au milieu de la vallée étroite et sinueuse, à laquelle les Crans servaient de fond de décor, le Mouzon grossi par les pluies roulait des eaux limoneuses. On voyait les arbres du jardin secoués par le vent qui, en se glissant sous les portes, gémissait lugubrement dans l’intérieur de la maison. À gauche, assez loin, quelques maisons, et plus à gauche encore, la flèche élancée d’une église.

Donc, la ville n’était pas très loin. Maud n’en pouvait voir les plus proches maisons. Mais elle estimait qu’un quart d’heure devait suffire pour les atteindre.

Attendre la nuit, s’échapper de sa chambre, non par la porte, mais par la fenêtre, courir en ville et ramener la police… Sa chambre, il est vrai, se trouvait au premier étage, mais il devait être possible d’en descendre à l’aide d’un drap de lit, par exemple.

Mais qu’adviendrait-il d’elle si on la surprenait en train de fuir ? Et si l’on s’apercevait de sa fuite avant l’arrivée de la police, qu’adviendrait- de Miss Strawford ?

Un roulement d’abord lointain s’entendit, qui se rapprocha rapidement ;