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moins en moins étroites, que vous savez, ne sont-elles par justifiées par l’état de la prétendue malade ? Il est vrai que celle-ci y met du sien, ajouta Fredo. Et je reconnais qu’avec un captive moins dociles, des difficultés eussent à la longue été inévitables.

— Oui… dit Miss Ligget. Et, sous ce rapport, votre tâche aura été facile.

— Trop facile… assura Fredo, dont le visage s’assombrit un peu. Jamais prisonnière n’aura donné moins de mal à son geôlier. Grâce aux fausses lettres qui lui ont été communiquées, et où l’écriture de son fiancé était si bien imitée, pas une seconde ne lui est venu à l’idée que nous pouvions la tromper en lui affirmant que son chéri était de nouveau entre nos mains, et que son existence à lui nous répondait de sa docilité à elle. Et c’est sans aucune difficulté que nous avons obtenu qu’elle écrivit à ses hommes d’affaires les lettres que vous savez « Que m’importe l’argent ? Prenez toute ma fortune, mais qu’il vive… » C’est par acquit de conscience que je la fais encore surveiller ; mais je suis persuadé qu’on pourrait laisser toutes les portes ouvertes devant elle sans qu’elle songe seulement à en profiter, tellement elle redoute de voir son fiancé « trinquer » pour elle. Et c’est en toute tranquillité que par deux fois j’ai pu m’absenter pour me rendre à Paris. Vous me connaissez, Miss… dit encore Fredo. Eh bien ! il m’en coûte chaque fois d’avoir à me présenter devant cette créature si douce et si résignée, qui ne se révolte pas, qui ne maudit personnes qui n’élève jamais la voix, et que je vois souvent en train de prier, agenouillée devant son crucifix. Car, savez-vous ce qu’elle m’a lorsqu’elle a su qu’elle ne pourrait sortir pour se rendre à l’église ? Elle m’a demandé un crucifix. Je lui ai fait acheter un crucifix…

Le visage de Miss Ligget s’était soudain durci.

— Il ne fallait pas… dit l’Américaine, les dents serrées. Non, il ne fallait pas lui donner de crucifix…

Fredo la regarda avec un peu de surprise :

— En quoi le fait vous gêne-t-il, belle demoiselle ?

— Parce que c’est une consolation pour elle, et qu’elle n’est pas assez malheureuse ! s’écria Edith dans une sorte d’explosion.

— Pas si haut ! Vous allez réveiller notre amie… invita Fredo. Moi que me figurais que vous étiez croyante… ajouta-t-il.

— Je n’ai jamais cru à rien, et c’était par tactique que je l’accompagnais à l’église. À côté de cela, j’ai tout fait pour venir à bout des croyances qui, je le sentais, seraient pour elle une consolation dans le malheur. Mais je n’ai pas réussi. Cette religion maudite est comme ancrée en elle, et c’est elle qui l’empêchera de mourir désespérée, la rage au cœur, le blasphème à la bouche, comme j’aurais voulu qu’elle meure…

D’indignation, Maud faillit se redresser et crier : « Taisez-vous ! C’est odieux, ce que vous dites là… » Elle se retint à temps, et resta immobile, les yeux toujours clos, dans l’attitude d’un tranquille sommeil. Mais à présent Miss Ligget lui inspirait une véritable horreur, et à côté de la belle Américaine Fredo lui paraissait presque sympathique.

Il y eut un instant de silence. Puis d’un ton plus calme Edith Ligge reprit :