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se sentait la prisonnière de sa faute, et ne croyait pas qu’il lui fût possible. le voulût-elle, de s’affranchir du joug criminel dont elle était l’esclave.

Des remords, pourtant, finirent par s’éveiller en elle, jour après jour sous des influences diverses.

La fréquentation de Thérèse Aramond lui inspira notamment des réflexions qui la troublèrent, et un jour vint où elle ne put penser sans rougir au contraste qui existait entre sa propre existence et celle de cette enfant qui l’accueillait avec tant de confiance.

De même, et probablement du fait que son rôle l’avait obligée à fréquenter de nouveau l’église, elle constatait en elle un réveil encore vague mais réel, du sentiment religieux.

Enfin, au fur et à mesure que le temps s’écoulait, ses complices, ef notamment Edith Ligget, se montraient plus confiants vis-à-vis d’elle ; et mieux éclairée, Maud avait fini par redouter que Miss Strawford ne fût pas la seule victime immolée à la cupidité ou à la vengeance de Sturner.


Ce matin-là, de bonne heure, Edith Ligget avait été appelée au téléphone.

Lorsqu’elle était revenue près de Maud, celle-ci avait remarqué quelque chose d’insolite dans l’attitude de sa complice, et s’était informée s’il y avait du nouveau.

Miss Ligget avait répondu négativement. Mais tout le reste de la matinée elle avait manifesté les symptômes d’une agitation mal contenue ; et après déjeuner, contrairement à son habitude, elle était sortie seule, sans demander à Maud de l’accompagner, en disant qu’elle se rendait chez son dentiste.

Alors, l’idée vint naturellement à Maud qu’il se préparait décidément quelque chose qu’on avait intérêt à lui cacher. Peut-être venait-on de se décider à supprimer la véritable Miss Strawford.

Cette seule supposition bouleversa Maud qui, sous l’impulsion d’un sentiment irraisonné, s’habilla rapidement et sortit presque immédiatement derrière sa complice, dans l’intention de la « filer ».

Ce fut ainsi qu’en suivant dans le taxi qu’elle avait eu la chance de rencontrer la limousine où elle avait vu monter Edith, elle était arrivée à temps pour sauver Aramond, auquel elle était à cent lieues de songer.

Plus encore que le crime lui-même, les circonstances dans lesquelles il avait été perpétré révoltèrent alors la jeune femme, qui sentit protester en elle tout ce qui était resté de bon et d’humain.

Ç'avait été pour elle comme une révélation soudaine. Pour la première fois, elle s’était rendu nettement compte de quels criminels elle était devenue la complice. Et, sous le coup de l’indignation mêlée d’une sorte d’horreur qui la soulevait, elle avait parlé, elle avait tout dit.

Mais elle n’avait parlé que pour se soulager, et aussi pour obéir a ce sentiment bien humain qui porte un coupable à essayer de se décharger d’une partie de sa propre responsabilité sur un plus coupable que lui ; et lorsque, après s’être séparée d’Aramond, elle rentra à l’hôtel, elle regrettait presque d’avoir parlé, et tremblait à la pensée d’avoir été vue et reconnue en train de sauver Aramond.

D’autres part, une pensée grandissait en elle, qui, peu à peu, lui deve-