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— Que fera-t-on ensuite de Miss Strawford ? avait demandé Maud à son ancien fiancé.

Alors, Sturner avait légèrement froncé les sourcils :

— Un conseil, Maud : il ne faudra pas être trop curieuse, mais vous contenter des explications que je croirai devoir vous donner. Ce que votre sosie deviendra lorsqu’elle aura cessé de nous être utile, vous n’avez pas à vous en occuper.

— Il est pourtant nécessaire que je sache si c’est définitivement ou nom que je dois renoncer à ma véritable personnalité.

— C’est définitivement. Dès que vous serez devenue Miss Strawford, Maud Clawbony aura officiellement cessé d’exister. Vous n’aurez d’ailleurs à vous occuper de rien. Il vous suffira de vous mettre solidement dans la tête que Maud Clawbony est morte, et que vous êtes pour jamais Mary Strawford..

Et, pour finir, de sa voix froide, Sturner Favait avertie : désormais, elle était liée et ne pouvait plus se dédire. La récompense était royale. Mais en cas de trahison, ou seulement de défaillance, ou d’imprudence, le châtiment serait impitoyable, et d’ailleurs uniforme, quelle que pût être la faute : la mort, sans phrases, et même sans avertissement préalable.

— Et Sturner ne menace jamais en vain… ajouta la fausse Mary en frissonnant. C’est la mort que je risque en vous dévoilant la vérité, Monsieur Aramond. Et j’ai peur, je ne veux pas mourir… Je ne veux pas mourir, mais je ne peux plus garder pour moi ce secret terrible, qui m’affole. J’ai eu tort de e pas assez réfléchir, avant d’accepter la proposition de Sturner. J’ai été éblouie par la perspective de la vraie richesse, je n’ai pas voulu me demander de quel prix je payerais l’enivrement de connaître enfin les plaisirs et les jouissances enviés depuis si longtemps. C’était comme une folie, une folie froide et mauvaise.

— Après tout, me disais-je, pourquoi la vie est-elle si inégale et si injuste ? Pourquoi pour les uns la pauvreté et la misère, pour les autres la fortune et tous les enivrements ? Pourquoi ne serait-ce pas à mon tour d’être riche ? Je n’ai pas à m’occuper de ce que pourra devenir cette Mary Strawford que je ne connais pas…

Tel était mon état d'âme les premiers jours : au fond, je ne me faisais pas d’illusions, je sentais bien que la spoliation ne pouvait aller sans le crime, et j’acceptais obscurément d’être moralement la complice de ce crime, Depuis, mes idées ont changé. Je ne vois plus les choses de même, et me demande comment j’ai pu volontairement devenir la complice d’une aussi criminelle machination.


On avait dépassé Nanterre et l’on approchait de Paris,

Maud se tut.

Aramond restait silencieux.

Revenu de son premier saisissement, il réfléchissait, coordonnant intérieurement tous les éléments de l’audacieuse intrigue, essayant de discerner les possibilités d’agir.

— Comme vous devez me mépriser … prononça soudain Maud en relevant la tête

— Je vous plains surtout… répondit-il doucement.

— Merci… murmura-t-elle, les larmes aux yeux.