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DOUZE ANS DE SÉJOUR

fort à la description de la maladie et de la personne de l’auguste patiente, qu’il n’avait jamais été admis à voir. Il me pria néanmoins de ne rien épargner pour la guérir ; les ancêtres de la Famille impériale avaient toujours été, disait-il, généreux et bons envers les étrangers. Je songeai qu’effectivement, ils s’étaient montrés tels envers l’écossais Jacques Bruce, et pendant plus d’une semaine, deux fois le jour, malgré les pluies, j’allai exactement au palais. Ma grosse cliente se rétablissait à vue d’œil. L’Atsé me fit sonder relativement à mes honoraires : je refusai d’en recevoir ; il feignit de croire sa dignité offensée et saisit la première occasion de rompre avec moi. La convalescente ne se soumettait qu’imparfaitement au régime prescrit. Un matin, je la trouvai plus souffrante, elle m’avoua avoir bu de l’eau-de-vie ; je lui déclarai que je ne la reverrais que sur une nouvelle invitation de l’Empereur ; et je ne fus pas rappelé.

Ce dénoûment était fort à ma convenance. Si la malade n’était pas radicalement guérie, ma médication expectante avait du moins écarté le danger et le public m’attribuait tous les honneurs de la guérison. J’avais d’ailleurs perdu le goût de faire le médicastre. Lorsque je devais entrer chez la malade ou la quitter, me présenter devant son Empereur ou me retirer, enfin, dès que je paraissais au palais, les quelques valets enhaillonnés, qui passaient leur temps à muser aux portes, prenaient des airs compassés, solennels, et j’avais à subir toutes les simagrées de l’étiquette de l’ancienne cour des Empereurs d’Éthiopie. Les premiers jours, cette mise en scène bouffonne m’avait fait pitié ; mais sa répétition quotidienne m’était devenue désagréable. Plus