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DOUZE ANS DE SÉJOUR

mur de pignon, au milieu duquel la baie cintrée de la haute porte d’entrée se découpe sur le ciel. Les salles de bains, les étuves sont défoncées ; les chambres des femmes n’abritent plus que les oiseaux de nuit ; la trésorerie, le garde-meuble, les cuisines, les écuries, les appartements où les Empereurs se retiraient, dit-on, avec leurs familiers pour se reposer de la rigide étiquette de la cour, tout est inhabitable, et personne dans le pays n’était capable même de fabriquer la chaux pour réparer les dégâts causés par le temps. Une ancienne prison et la grande salle où se tenait le plaid impérial sont les seules parties bien conservées. Un vieillard de Gondar disait, en me racontant des anecdotes sur les Empereurs :

Dieu veut qu’au milieu de ces débris, la prison et la salle des plaids restent debout, pour témoigner contre les violences iniques de notre Famille impériale.

Les indigènes, quoique habitués aux aspects grandioses et austères de leur pays, s’arrêtent devant cette demeure avec un sentiment de mélancolie respectueuse ; quant à l’Européen, il est surpris agréablement comme par une image de la patrie, mais bientôt, il cède aussi à la tristesse, en considérant ce palais mutilé, hautain encore, au milieu des humbles maisons de Gondar, comme un vétéran déguenillé, prêt à raconter aux enfants les guerres d’autrefois.

Le Lik Atskou s’arrêta sur le palier d’un large escalier extérieur ; un enfant demi-nu nous ouvrit la grande porte d’une espèce de corps-de-garde, d’où il nous introduisit dans la salle des plaids, vaste pièce rectangulaire et dénudée, à l’extrémité de laquelle était accroupi sur un lit à baldaquin l’Atsé ou Empereur :