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DOUZE ANS DE SÉJOUR

respect pour la conscience de leurs concitoyens ou par crainte des jugements de nations rivales, elles n’eussent osé violer dans notre hémisphère ; et l’histoire des colonies européennes en Afrique et en Amérique offre des exemples d’iniquité bien autrement déplorables que la persécution dont nous étions les victimes à Toudjourrah. Aujourd’hui, grâce aux communications plus fréquentes des peuples, grâce surtout à ce qu’une plus grande publicité éclaire leurs actions, le champ de l’arbitraire tend à se rétrécir. Mais il est difficile de se soustraire complétement aux effets de précédents mauvais. De même que le bien, le mal a son enchaînement ; et à l’époque dont je parle, un gouverneur peu scrupuleux pouvait encore réveiller contre nous avec impunité des traditions politiques aujourd’hui désavouées.

Du reste, dans les établissements anglais de l’Inde, l’opinion publique se prononça énergiquement en notre faveur ; des journalistes ne craignirent pas de prendre notre défense, et lorsque plusieurs années après, je me trouvai au Caire, des employés militaires et civils de la Compagnie des Indes, de passage en Égypte, sont venus me féliciter de mon retour et me dire combien leurs compatriotes avaient désapprouvé les mesures prises contre nous. Je n’attendais point ces témoignages pour revenir à la juste appréciation de la loyauté des citoyens anglais ; et si je rappelle la conduite du capitaine Heines, c’est bien moins pour attacher le blâme à son nom, que pour donner à comprendre quels sentiments pénibles devaient nous oppresser, lorsqu’à Berberah et à Toudjourrah, nous songions qu’à quelques lieues de l’autre côté du golfe, des hommes élevés dans les mêmes principes que nous, au lieu de nous aider dans notre voyage, employaient tous les