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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

busquer de Toudjourrah, mais ils arrêtaient pour longtemps notre voyage dans l’intérieur. On s’attendait de jour en jour à voir arriver l’ambassadeur de la Compagnie des Indes, accompagné de son nombreux personnel et de vingt-cinq soldats anglais qui devaient lui servir d’escorte jusqu’en Chawa ; et la grande caravane était prête à partir dès l’arrivée de tout ce monde. Comme ressource dernière, nous aurions pu tenter de nous attacher à suivre cette caravane ; mais c’eût été aux dépens de notre dignité. Vis-à-vis des indigènes, il nous était permis de nous résoudre à composer avec les habitudes conformes à notre éducation, mais en face d’Européens comme nous, et d’Européens hostiles, nos susceptibilités nationales se réveillaient plus vives. L’ambassadeur anglais, entouré d’un nombreux personnel, muni de cadeaux princiers, disposant de l’autorité de Toudjourrah, appuyé de vaisseaux de guerre, marchant enfin sur une route aplanie de longue main par l’influence et l’argent du capitaine Heines, ne devait pas manquer d’avoir aux yeux des indigènes une supériorité écrasante sur deux voyageurs isolés dont l’un était souffrant, et qui, avec leurs modestes ressources personnelles, s’efforçaient de se frayer leur route. En conséquence, nous dûmes nous résigner à abandonner une position que nous avions cependant eu tant de peine à conquérir.

Quand on songe à la conduite du chef de la colonie d’Aden à notre égard, elle semble se concilier difficilement avec les habitudes et la grande figure que la nation anglaise fait en Europe. Mais trop souvent dans leurs établissements lointains les nations européennes, en vue de quelque avantage commercial ou politique, ont ouvertement foulé aux pieds les notions élémentaires d’humanité, de justice et de morale que, par