Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/599

Cette page a été validée par deux contributeurs.
591
DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

où le jugement ne conduit plus la main. Ils se retirèrent à une vingtaine de pas et s’accroupirent comme pour délibérer encore. La nuit vint sur ces entrefaites, et ils se dispersèrent.

Je restai seul dans l’obscurité. Bientôt, le Sultan vint vers moi, protégeant de la main un flambeau allumé, et il m’invita à entrer dans la maisonnette, où nous soupâmes ensemble comme de bons amis. En buvant le café, il me dit :

— Tu as peu de jugement, ou bien tu te fies à quelque puissant talisman. Je t’aime comme si tu étais mon fils ; mais je ne suis pas seul maître ici, et ta présence soulève des questions difficiles. Tes compagnons restés à bord doivent être inquiets ; va leur donner le bonsoir, et demain matin, nous reprendrons cette affaire qui finira peut-être par s’arranger.

Je lui répondis que mes compagnons étaient sans inquiétude, puisqu’ils me savaient auprès de lui ; que nous avions assez parlé tout le jour, et que le mieux était de se reposer.

Il me regarda fixement, cligna de l’œil et se mit à rire.

— Le rusé ! dit-il ; comme les Français diffèrent des Anglais ! Vous du moins, vous nous traitez comme des semblables. Tiens, je souhaite que tu restes. Bonne nuit ; et qu’Allah nous réveille d’accord !

Je montai dans le fenil et je m’endormis sur le plancher, après avoir eu la précaution de tirer l’échelle.

Le lendemain, de bonne heure, des hommes vinrent successivement par deux et par trois s’entretenir avec le Sultan. Je déjeunai avec lui ; il me dit qu’on allait se réunir et que notre affaire serait décidée le jour même. Il voulait que notre patron de barque