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DOUZE ANS DE SÉJOUR

esprit le chemin du Chawa et du Gojam, j’étais peu disposé à la quitter à la légère : si pour prévenir mon frère de ce qui se passait, je me fusse remis sur l’eau, j’aurais perdu tous mes avantages ; je refusai donc, et j’allai me promener sur le bord de la mer.

Je savais qu’un indigène nommé Saber avait eu des relations avec mon compatriote, M. Dufey, et je désirais d’autant plus le voir, que le Sultan avait feint d’ignorer jusqu’à son nom. Des enfants qui jouaient sur la plage m’indiquèrent sa demeure. J’y courus et je trouvai mon homme, à demi-nu, accroupi sur un alga, un chapelet à la main et son coran ouvert devant lui. Il avait la tête rasée et portait, comme par mégarde sur l’occiput, une calotte de l’Hedjaz ridiculement petite ; il était du même âge que le Sultan, mais sa physionomie spirituelle et narquoise me fit bien augurer de lui. Une élégante jeune fille, assise au pied de son alga, préparait des gâteaux de blé ; les tresses de ses cheveux noirs pendaient presque jusqu’à terre. À mon entrée, elle ramena son voile sur sa figure et disparut.

— Que le salut d’Allah soit sur toi ! me dit Saber, en me faisant prendre place à côté de lui.

Je lui dis qu’ayant entendu parler de ses bons rapports avec mon compatriote M. Dufey et n’ignorant pas non plus que ses ancêtres étaient originaires de l’Yémen, la terre bénie, je venais pour le saluer et m’éclairer de ses conseils précieux pour moi dans la position où je me trouvais ; je fis enfin de mon mieux pour gagner sa bonne volonté.

Sur plusieurs points de ces côtes d’Afrique, il y a quelques familles originaires d’Arabie, et ces familles sont d’autant plus fières de leur origine que, dans ces parages, lorsqu’on veut compléter l’éloge