Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/572

Cette page a été validée par deux contributeurs.
564
DOUZE ANS DE SÉJOUR

de le quitter pour toujours, il se rendit au jardin, renvoya ses serviteurs, fit ses ablutions, prit congé de son corps par une prière, et s’étant assis à l’ombre, son chapelet à la main, il dit à l’ingrat :

— Fais ce qui doit être.

Aussitôt, un jeune homme resplendissant de beauté lui apparut et lui dit :

— Confirme ta foi. Prononce par trois fois le nom d’Allah, détache une feuille de cet arbre, pose la sur ta bouche, et tu seras sauvé.

— Qui es-tu donc ? dit Marzawane.

— Le Prophète m’envoie pour dissiper ta peine ; je suis l’ange de l’hospitalité.

Et le céleste messager disparut.

Marzawane ne douta pas ; et à peine la feuille consacrée touchait-elle ses lèvres, que sa poitrine se soulevant rejeta le serpent noirci et calciné par la justice divine. Le génie du mal succombait devant la foi d’un véritable croyant.

Comprenez bien cette histoire, nous dit Aïdine. Votre conduite envers moi me l’a souvent rappelée. J’ai abrité sous mon toit un Européen ; en récompense, il voulut mordre à mon honneur, et cette pensée oppressait ma poitrine, lorsque toi, Mikaël, tu es venu du Tegraïe où l’insensé calomniateur a dû te mettre en garde contre moi ; et toi, dit-il en s’adressant à mon frère, tu es venu du Caire, où j’étais accusé de la même infamie. Vous êtes arrivés ici le même jour des deux extrémités du monde, et Allah vous avait à peine réunis, que vous étiez dans ce divan pour partager votre bonheur avec moi. En recevant le sorbet, vos yeux ont trahi la simultanéité de vos pensées ; mon cœur se brisait ; mais vous avez vidé jusqu’à la dernière goutte ma coupe un instant soupçonnée. J’avais lu dans vos yeux comme