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DOUZE ANS DE SÉJOUR

des solitudes s’étaient émus de ma mésaventure et seraient toujours prêts à s’employer en ma faveur.

— Ils sont au courant de ce que tu fais, mon fils, me dit-il, et ils te veulent du bien ; ils s’imaginent que ta présence en Gojam contribuera à rappeler le Dedjadj Guoscho aux idées de renoncement qui ont conduit sa mère à Jérusalem.

Il finit par me confier mystérieusement qu’il était lui même natif du Gojam, et que j’étais lié avec quelques-uns des siens. Je lui demandai à quelle famille il appartenait.

— Laisse-là ! répondit-il ; je suis mort pour elle, quoique je veille sur elle et que je prie ; je m’efforce de me détacher de tout, et Dieu confirme ce détachement en reprenant mon corps pièce à pièce, comme tu vois.

Et il me montrait ses membres mutilés par son affreuse maladie.

— Mais toi, tu es jeune ; ton midi est devant toi, et quand tu rentreras dans mon Gojam, aime-le bien, car c’est la fleur de notre Éthiopie.

Comme les trafiquants attendaient la fin de notre entretien, il les congédia, et je pus jouir de sa conversation pendant une partie de la soirée.

Je lui dis de disposer de moi en quoi que ce fût. Il m’apprit que le Naïb d’Arkiko érigeait en droit l’habitude de prélever sur chaque pèlerin de passage pour Jérusalem une petite somme en argent, et que de plus, si l’un d’eux avait une monture ou une bête de somme, il la lui prenait aussi, sous prétexte qu’il n’en aurait que faire dans un voyage sur mer. Et comme je passais pour être en crédit auprès du Naïb, il me pria d’intercéder pour lui et ses compagnons. À cet effet, j’envoyai un messager au Naïb, et quelques jours après on me rapporta que ce