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DOUZE ANS DE SÉJOUR

à me céder sa proie moyennant son prix d’achat, et je repartis aussitôt.

Au lieu de suivre le chemin des caravanes, nous parcourûmes le bas pays en zigzag, chassant tout le jour et nous arrêtant la nuit chez les pâtres Sahos qui pourvoyaient à notre subsistance. Ces quartiers abondent en antilopes de toute grandeur, en condomas, en panthères, en énormes sangliers à masque, en lions et en éléphants.

Une fois, après une quête prolongée et infructueuse, la nuit nous surprit dans un quartier désert, et nous dûmes bivaquer sur des rochers, en endurant la faim. Le lendemain vers midi, la soif, le jeûne, et la fatigue nous faisaient traîner la marche, lorsqu’un de mes hommes signala une caravane de trafiquants. Je proposai à Soliman, mon guide Saho, de prélever notre déjeuner sur eux, comme en pareille occurence, cela se pratique quelquefois dans le haut pays. Le vieux Soliman, dont la voracité était proverbiale, me dit allègrement :

— Par Allah ! déjeunons, déjeunons, mon fils. Des honnêtes gens ne doivent pas se laisser mourir de faim, si près de ceux qui ont des vivres. Seulement, je ne me montrerai pas ; je suis trop connu, et on dirait que c’est moi qui ai conseillé le coup. De derrière ce rocher, je verrai ce qui se passera, et qu’Allah intimide ces revendeurs de chair humaine !

Bientôt, nous leur faisions nos ouvertures à la façon imprévue et brutale usitée en pareil cas, et sans trop de résistance, ils nous laissaient ce que nous voulions, tant en beurre qu’en farine. En refermant leurs outres, ils nous dirent qu’après tout nos procédés étaient fort honnêtes ; ils nous souhaitèrent toutes sortes de prospérités, et nous nous séparâmes en très-bons termes.