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DOUZE ANS DE SÉJOUR

patriote fut appelé au déjeuner du Dedjazmatch. Quelques instants après, un soldat vint nous porter de la part du Dedjazmatch le message suivant :

« Ne passe pas la journée, ne passe pas la nuit. Va-t-en, sinon il en ira mal pour toi ; et si, dorénavant, j’apprends que tu es dans mes États, tu auras à pleurer la perte de tes membres. »

Le messager, voyant que je ne me levais point, me dit :

— Tu ne pars donc pas ? Je ne dois retourner auprès de Monseigneur qu’après t’avoir vu t’éloigner.

Pendant que mes hommes s’apprêtaient et sellaient nos mules, mon frère n’eut que le temps d’écrire quelques mots au crayon pour recommander ses instruments à l’Européen dont la maison nous avait servi de refuge, et nous sortîmes de Maïe-Tahalo, ne prenant avec nous que ce que mes gens pouvaient commodément porter.

Ezzeraïe, le fils du Bahar Negach de Digsa, s’était attaché à moi. Nous avions même âge. Comme il était bruit dans le Tegraïe qu’une haute position m’attendait à la cour du Gojam, son père m’avait dit : « Ezzeraïe t’aime ; qu’il te suive en Gojam ; tu le pousseras, tu le formeras aux façons de cette soldatesque éphémère et turbulente qui nous régit aujourd’hui. Cela pourra lui servir lorsqu’il sera appelé à me remplacer. Moi je ne peux lui donner de pareils enseignements ; je mourrai comme j’ai vécu, en combattant ceux qui les pratiquent » En conséquence Ezzeraïe m’avait accompagné à Adwa, et comme on accusait le Bahar Negach auprès du Dedjadj Oubié d’incliner à la rébellion, en bon fils, il avait voulu profiter de notre visite à Maïe-Tahalo pour s’assurer par lui-même jusqu’à quel point son père pourrait compter sur le bon vouloir de leur suzerain. En