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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

deux pages debout voilaient leur maître des pans de leurs toges. Quatre ou cinq femmes Waïzoros, dont une seule jeune et belle encore, buvaient l’hydromel en silence, accroupies à terre au chevet et au pied de l’alga. Deux hommes à cheveux blancs, un échanson que je reconnus pour le fusilier qui m’avait engagé à manéger mon cheval devant le Dedjazmatch, un jeune soldat armé, debout près de la porte, et une porteuse d’hydromel tenant son amphore penchée sur ses genoux formaient, avec un de mes hommes qui s’était glissé à ma suite toute l’assistance. À terre se trouvait un grand portrait en buste du roi Louis-Philippe, apporté par l’envoyé français.

Le Prince parut contrarié qu’il n’y eût plus de viande fraîche à nous offrir, et il nous fit servir des langues séchées au soleil et réservées pour lui ; l’échanson nous présenta à chacun un burilé d’hydromel ; j’acceptai par déférence, quoique je n’en busse jamais. Le Dedjazmatch me demanda où était mon cheval, et je lui dis les motifs qui m’avaient engagé à l’envoyer par la route du bas pays.

— Il craint sans doute de le laisser voir, dit-il.

Puis il me questionna sur le but de mes voyages et il redevint silencieux ; mais il me regardait par instants à la dérobée et avec une expression peu bienveillante. On continua à boire dans ce silence qu’Oubié imposait durant ses repas.

Beaucoup d’Éthiopiens et d’Éthiopiennes ont l’habitude de priser ; ils font rarement usage de tabatières comme les nôtres, tout leur en tient lieu : le tuyau d’un roseau ou l’extrémité d’une corne de bœuf, une fiole ou le péricarpe ligneux d’un fruit. Ils répandent du tabac sur la paume de la main, remettent leur tabatière dans leur ceinture et prisent ensuite