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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

Cet affront ne fut pas remarqué par le Prince ; et comme le moment eût été mal choisi pour s’en plaindre, je crus devoir sortir avec mon compatriote, et nous regagnâmes Adwa, en nous promettant de revenir sur ce fait à la première occasion.

Les gens de la maison d’Oubié affectaient de faire très peu de cas des Européens et les traitaient même souvent avec insolence. À quelques exceptions près, le très petit nombre d’Européens, qui jusqu’alors avaient pénétré dans le pays, s’étaient contentés de voyager dans les États gouvernés par Oubié ; ignorant la langue et les mœurs, ils avaient dédaigné d’observer les usages de politesse indigène, tout en se laissant aller trop facilement à des manières d’être qu’ils n’auraient pas osé avoir dans leur propre pays. En Amarigna et en Tegrigna, on tutoie ses inférieurs ou ses subordonnés s’ils sont plus jeunes, souvent aussi ses égaux ; mais quand on veut être convenable, on emploie le vous avec son égal et même avec son inférieur, s’il est plus âgé ; et l’emploi de la troisième personne est de rigueur lorsqu’on s’adresse aux vieillards, aux hommes d’un rang élevé ou aux prêtres. Les Européens tutoyaient tout le monde ; aussi, étaient-ils traités de la même façon, quelquefois même par leurs domestiques. Enfin, nos manières d’être nous faisaient regarder comme des gens naïfs, étrangers à toute civilité, colères, incapables des grands sentiments du cœur, parlant et agissant comme l’homme du Danube, industrieux du reste, ingénieux pour les travaux manuels et versés dans la connaissance des philtres et des remèdes : ce qui nous faisait classer tout d’abord dans les rangs inférieurs d’une société ou l’homme bien élevé doit être au fait des convenances, avoir quelques connaissances en histoire sacrée et nationale, en musique, en poésie, en législation coutu-