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DOUZE ANS DE SÉJOUR

labré où, il y a un siècle, sa famille florissait à l’abri du trône impérial. Il me proposa de monter au haut de la tour, afin d’y jouir du point de vue, quoique le cicerone prétendît que l’ascension était périlleuse : de l’escalier, en plusieurs endroits, il ne restait que la cale. Nous atteignîmes néanmoins la plate-forme ; Birro s’épanouit. Les factionnaires laissés au pied de la tour cherchaient à éloigner une troupe d’environ deux cents marchands musulmans.

— Ces trafiquants, dit-il, viennent sans doute réclamer contre mes soldats.

Un corbeau vint se poser sur le faîte d’un arbre en face de nous. (On dit vulgairement que quand un corbeau apparaît seul, c’est un mauvais présage). Birro se saisit du pistolet que j’avais à la ceinture et laissa errer sa main armée dans la direction des Musulmans, tout en détournant la tête pour parler avec moi ; les Musulmans, épouvantés, se dispersèrent sous les arbres.

— Si je tue ce corbeau, dit Birro, c’est que je devrai un jour rentrer dans les possessions de mes ancêtres : je régnerai ; tu feras venir de ton pays des gens qui bâtissent à la chaux, nous nous élèverons de belles demeures, nous les léguerons à nos neveux, et notre amitié aura ainsi un signe dans l’avenir.

J’arrêtai son bras, en lui représentant que le corbeau perchait un peu loin et qu’il ne devait point risquer de manquer son coup devant tant de gens.

— C’est juste, c’est juste, dit-il.

Et le bras sur mon cou, il m’entraîna jusqu’au rebord de la tour, pour faire juger à tout le monde, disait-il, du degré d’amitié qu’il avait pour moi.

— Par la mort de Guoscho ! ajouta-t-il, ne suis-je pas un homme fortuné de pouvoir réclamer de pareils