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DOUZE ANS DE SÉJOUR

meilleur moyen de s’en affranchir est de se tenir dans des lieux obscurs et enfumés.

Des joncs frais tapissaient le sol de la hutte du Prince, et au centre, un large lit de cendres, où fumaient quelques tisons, indiquait par leur odeur qu’on avait fait des carbonnades. Birro avait l’habitude de faire griller ses viandes devant lui pour les soustraire à l’influence de l’œil malin qui ne manquait pas, disait-il, de les frapper lorsqu’on les grillait devant sa tente, sous les yeux et le nez des soldats, toujours portés à convoiter les bons morceaux. Sur un alga dressé en face de l’entrée étaient jetés pêle-mêle toge, turban, amulettes, ceinture, un brassard en vermeil, une magnifique pèlerine en peau de mouton et le sabre du Prince ; son riche bouclier était accroché au-dessus, à côté de son lourd javelot et de trois carabines damasquinées d’or ; au chevet de l’alga, un enkassé, piqué en terre, soutenait à un de ses crampons un petit pupitre et son livre d’heures. Birro était assis par terre, près du foyer, sur une peau de bœuf préparée avec son poil ; quelques seigneurs lui tenaient compagnie, et une vingtaine de soldats, debout, suivaient la conversation et les moindres gestes de leur maître ; les plus hauts de taille subissaient, en larmoyant, le dais de fumée condensée à la partie supérieure de la hutte. Les rayons rouges des torches, qui déchiraient inégalement l’obscurité, les physionomies mâles de ces gens aux longues chevelures, les poitrines nues, les draperies hardies et gracieuses des toges, les scintillations des armes, tout contribuait à donner à ce tableau un charme et une énergie étranges.

En Europe, l’homme ne reconnaît pas l’homme pour maître ; il lui obéit sans doute, mais indirec-