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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

anfractuosités de la gorge, suffisaient aux familiers, à la cuisine et à ceux qui obtenaient la permission de venir se baigner un ou deux jours ; les pluies ayant cessé, la compagnie de fusiliers et les rondeliers de service vivaient nuit et jour en plein air.

À l’exception des moments donnés au sommeil, nous passions tout notre temps auprès de Monseigneur : on mangeait, on buvait longuement ; fusiliers, rondeliers, pages et barbes grises, tous, jusqu’aux cuisinières, vivaient comme sur un pied d’égalité fraternelle avec le Prince ; on jasait, on badinait, on usait de son franc-parler, et cette familiarité ne donna pas lieu une seule fois à un acte, à un mot indiscret. La nuit, comme le jour, les deux bassins, en dehors du hangar, étaient remplis de baigneurs. Au chant du coq, le Dedjazmatch passait dans sa piscine, en compagnie d’une quinzaine de ses gens sans distinction de rang : on restait dans l’eau deux à trois heures ; parfois on y mangeait et on y buvait l’hydromel ; le soir on refaisait une séance semblable. Monseigneur dut suspendre ses dévotions journalières ; il n’avait jamais été, disait-il, si peu disposé au recueillement.

Quatre trouvères et deux morions ou bouffons contrefaits, étaient chargés de nous divertir ; on prolongeait les veillées ; les trouvères nous chantaient la guerre, débitaient des hilarodies ou des saynètes, et comme un peu de tristesse rehausse parfois la joie, l’un d’eux, renommé pour ses inspirations mélancoliques, nous émouvait par ses élégies.

Pour protéger son maître contre les importuns, Ymer Sahalou faisait garder les sentiers conduisant à notre koualla. Une après-midi, le soleil dardait d’aplomb, les oiseaux étaient silencieux et se tenaient à l’ombre ; nous causions en buvant. Soudain, un