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DOUZE ANS DE SÉJOUR

mis tous les ménagements possibles à lui dire le motif de ma visite ; mon soldat, lui, enhardi par ma présence, parla haut et dur : Ymer se défendit de l’avoir jamais vu ; mon homme offrit de lui déférer le serment, mais je crus bien faire de me désister en son nom. Pour effacer l’impression que pouvait m’avoir laissée ce litige, Ymer eut la bonté de m’envoyer, bientôt après, un message bienveillant et deux belles carabines ornées d’incrustations en or, pour me prouver, disait-il, qu’en tout cas, la cupidité ne l’aurait pas incité à agir comme le disait mon soldat. Je renvoyai ce présent avec une réponse faite pour dissiper tout nuage entre nous.

Cependant la pluie menaçait encore, l’eau ruisselait de tous côtés et les boues étaient telles qu’on ne pouvait allumer les feux. On se décida à se transporter à un kilomètre environ sur les terrains ondulés où Monseigneur avait eu l’intention d’établir notre camp, lorsque l’ennemi nous était subitement apparu.

Nous y arrivâmes à la nuit tombante : à peine quelques chefs purent-ils faire dresser leurs tentes ; les soldats ne purent se hutter. La pluie recommença et persista jusqu’à l’avant-jour. La nécessité de surveiller les prisonniers fit que presque tout le monde resta les armes à la main ; ceux qui avaient à garder des chefs importants les attachaient au moyen de leur ceinture ; chacun dut tenir son cheval par sa longe ; personne n’avait eu le temps de manger et beaucoup étaient à jeun depuis la veille. Néanmoins, l’entrain des soldats ne se démentit pas ; la pluie, la froidure, l’obscurité, la fatigue et la faim réunies ne purent dompter leur gaieté. On se serrait les uns contre les autres, en s’abritant de son bouclier ou de quelque ustensile de campement, et les passe-temps les plus variés se succédèrent sans inter-