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DOUZE ANS DE SÉJOUR

inspirait à la fois la crainte et l’affection tant dans son intérieur qu’au dehors. Vive quelquefois jusqu’à l’emportement, elle prévenait les rancunes en reconnaissant ses torts avec une rare facilité. L’injustice la révoltait, mais son mari avait eu à lutter longtemps pour l’empêcher de s’immiscer plus que de raison dans les affaires de son gouvernement. Elle avait le teint d’une Espagnole brune, le front haut, large, uni, la chevelure fort belle et de grands yeux expressifs ; la pureté de ses traits, une certaine ampleur dans les formes, la distinction de son langage, de ses manières et sa politesse toujours aisée formaient un ensemble parfaitement en rapport avec le haut rang qu’elle occupait.

J’avais accueilli avec joie la perspective d’une nouvelle campagne, mais la façon dont la Waïzoro l’envisageait me communiqua quelques-unes de ses appréhensions.

— L’âme de Conefo, disait-elle, n’a pas été rappelée depuis si longtemps, que Dieu ne lui permette de veiller encore sur ses deux orphelins, qui n’ont pas eu le temps de devenir coupables. Aussi, que nous soyons vainqueurs ou vaincus, je ne cesserai de redouter les suites de cette guerre. Mais on prétend que nous autres femmes nous n’entendons rien à la conduite des affaires.

Ayant tenté vainement de dissuader son mari de faire cette campagne, elle avait provoqué l’intervention d’anachorètes vénérés : deux d’entre eux étaient venus à Goudara, mais le Prince s’était montré respectueusement sourd à leurs conseils.

Ces religieux, dont j’ai déjà parlé, ne quittent leurs solitudes qu’à l’occasion d’événements graves ou pour détourner les puissants ou ceux auxquels ils