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DOUZE ANS DE SÉJOUR

tions avec le Dambya, nous firent dire de nous hâter, que le vide fait dans les rangs d’Ilma par la désertion d’une partie des troupes de l’Agaw-Médir se comblait rapidement, grâce aux volontaires venant de tous les points du Bégamdir. Le Prince fit ses adieux à sa femme, et sans avoir publié le ban d’usage, il alla camper à quelques milles de Goudara.

Quelque sévères que soient les princes éthiopiens, ils en sont ordinairement réduits, pour réunir leurs troupes, à publier plusieurs bans ; de plus, des bandes entières s’arrangent pour ne rejoindre que la veille de la bataille, afin de vivre jusque-là, à leur aise, aux dépens de l’habitant. En partant sans publier de ban, le Dedjazmatch comptait jeter l’alarme et hâter ainsi la réunion de ses soldats, très-enclins à s’attarder et à mal faire, mais trop attachés à sa personne pour le laisser courir seul au danger.

La Waïzoro Sahalou avait demandé à son mari de me laisser auprès d’elle, et pour tout concilier, j’étais convenu de rejoindre l’armée à sa troisième ou quatrième étape ; en conséquence, je restai auprès de la Waïzoro Sahalou cinq jours de plus, et je pus apprécier davantage cette femme distinguée. Son expérience des affaires eût été surprenante chez une personne vivant comme elle dans la retraite rigoureuse imposée aux personnes de son rang, si l’on ne savait que même dans cet état, les femmes ne perdent rien de ce qui se fait dans le monde, non plus que de leur influence. Les faits contemporains, leurs causes et leurs effets, s’étaient classés dans sa mémoire avec un ordre merveilleux. Son intelligence vive, une diction claire, élégante et un charme particulier dans la prononciation rendaient ses récits des plus attrayants. Elle me raconta les événements