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DOUZE ANS DE SÉJOUR

l’instrument, et le remède, minutieusement pesé, je le délayai dans un peu d’eau.

Le Prince ayant mis le principal eunuque sous mes ordres, je fis d’abord sortir toutes les femmes qui encombraient la maison ; l’aumônier, la parente favorite, la naine, trois ou quatre petites filles de services et un ancien Fit-worari, proche parent de la Waïzoro, furent les seules personnes dont je tolérai la présence. La malade étant toujours insensible, on dut lui desserrer les dents pour lui faire prendre la potion. Son parent fit observer que je devrais, selon l’usage, goûter la boisson avant de l’administrer, mais il n’osa pas insister. Quelques symptômes heureux se manifestèrent, mais se dissipèrent bientôt ; des frictions énergiques les firent reparaître, et je courus chez le Prince. Pendant que je lui faisais mon rapport, nous entendîmes des éclats de pleurs, mêlés au début d’une de ces thrénodies qu’on chante aux funérailles. Le Prince tressaillit et m’interrogea du regard.

— Non, non, Monseigneur, cela n’est pas, lui dis-je ; je ne vous l’aurais pas caché.

J’envoyai des huissiers, des pages, des eunuques tous ceux que je pus trouver, pour disperser les thrénodes et affirmer que la princesse allait mieux ; la cloche de l’église commençait même à sonner le glas, mais on étouffa tous ces bruits de sinistre augure. Cependant, de retour auprès de la malade, je perdais moi-même tout espoir, lorsqu’enfin elle ouvrit les yeux. Peu à peu, comme des profondeurs de sa léthargie, l’intelligence remonta dans son regard, qu’elle arrêta sur moi, en disant lentement :

— Tiens ! Mikaël !… J’ai donc été bien mal ?

Bientôt, elle donna d’une manière plus active et