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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

À son chevet, dans la ruelle, son aumônier, vieux prêtre à barbe blanche, était debout, une petite croix à la main, et une jeune femme d’une éclatante beauté, parente préférée de la Waïzoro, agenouillée par terre et accoudée sur la couche, lui tenait la main, qu’elle baignait de larmes. Au pied de l’alga se tenaient une naine, laide, difforme, toute bouffie de chagrin, et deux petites filles de service, immobiles, interdites, qui semblaient attendre quelque ordre de leur maîtresse. La sueur froide qui perlait sur son front, la respiration faible et crépitante, la décoloration des lèvres, le pouls rare et intercadent, tout m’impressionna péniblement, car j’aimais cette princesse, parce qu’elle était la femme de Monseigneur, parce qu’elle faisait incessamment le bien autour d’elle, et parce qu’elle avait eu pour moi les attentions les plus délicates.

M’étant renseigné de mon mieux, j’allai trouver le Prince et lui proposai d’employer un remède énergique, mais qui offrait quelque danger à cause de notre incertitude sur la nature de la maladie.

Et comme il s’en remettait à mon jugement, je lui fis remarquer que si un malheur arrivait, j’en serais accusé.

— Peut-on empêcher les fous de médire ? reprit-il. Une pareille inquiétude m’étonne de ta part, car s’il s’agit pour moi de ma femme, pour toi, ne s’agit-il pas d’une véritable mère ? Va, hâte-toi d’agir, et que Dieu nous aide !

Je fis immédiatement fabriquer sous mes yeux des balances par l’orfèvre du Prince : un mince fil de cuivre servit de fléau ; deux petites rondelles en papier, suspendues avec des fils de soie, complétèrent