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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

villes d’asile, ou se constituer en révolte ou passer au service d’un autre maître. De leur côté, les habitants de hameaux, de villages entiers, s’apprêtent à émigrer, en apprenant que tel seigneur réputé pour ses maltôtes sollicite l’honneur de les avoir pour vassaux.

Pour bien diriger ce mouvement de désagrégation et de reconstitution générale, les Polémarques ont besoin de déployer toute l’intelligence, le tact, la connaissance des hommes et la fermeté dont ils sont doués. Demeurer impénétrable, surveiller ceux qu’ils comptent faire déchoir et ceux dont ils ne pourront satisfaire l’ambition, prévenir les mécontents, concilier les rivaux, faire accepter les nouveaux fonctionnaires, encourager et récompenser les dévoûments, sévir avec adresse contre les prévaricateurs, enlever aux Polémarques voisins des serviteurs dont le concours leur paraît désirable, satisfaire enfin tous ces affamés d’honneurs, d’avancement et de mieux-être, toujours enclins à se croire lotis au-dessous de leur mérite ; faire sourdre dans tous les rangs les espérances, et imposer à tous : telle est la tâche difficile qu’ils ont à accomplir.

Après avoir présidé aux vérifications préliminaires, le Dedjadj Guoscho avait l’habitude de régler avec son confesseur les affaires de sa conscience, et de vivre ensuite dans une retraite absolue. Deux pages seulement faisaient le service de nuit et de jour ; un ancien page de son père, le Chalaka Maretcho, chef des huissiers du service intime, gardait sa porte et servait d’intermédiaire entre lui et ses sujets, dont aucun n’était plus admis en sa présence. Il ne recevait même plus sa femme, que son intelligence remarquable et son esprit remuant portaient volontiers à s’immiscer dans les affaires. Il confiait