Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/340

Cette page a été validée par deux contributeurs.
332
DOUZE ANS DE SÉJOUR

Cependant, les Atsés, dans leur toute-puissance, devinrent la proie des soupçons et des inquiétudes, maux ordinaires de la tyrannie. Quoique mutilées et enchaînées, la famille, la commune et la province soubresautaient encore ; elles pouvaient se redresser. La confiance entre gouvernants et gouvernés avait disparu ; les Atsés ne conférèrent plus l’autorité sous la seule garantie de la foi jurée. Ils la répartirent à courte échéance et la déplacèrent incessamment, tant ils craignaient qu’elle ne prît racine ailleurs qu’au pied du trône. En conséquence, ils soumirent à une révision annuelle toutes les charges et toutes les fonctions, à quelque degré qu’elles fussent. À l’esclave de la veille ils donnaient le commandement, reléguant parfois le maître à n’importe quel bas rang, et, comme les défiances surgissaient jusqu’autour du foyer impérial, ils soumirent à la révision leur personnel domestique. Leurs valets, les plus infimes serviteurs, leurs pages, leurs parents, leurs concubines, nul ne prenait rang, qualité ou position, qu’en passant sous le joug périodique de la volonté du maître. Les Polémarques, qui se sont partagé les lambeaux de l’Empire et dont l’autorité est encore plus illégitime et plus précaire que celle des Empereurs, gouvernent comme eux, et pour les mêmes raisons ; et, chaque année, ils font la révision de toutes les investitures émanant d’eux ; tous leurs subordonnés font une opération analogue, chacun dans le rayon de son autorité. On comprend la crise qu’amènent ces désagrégations et réagrégations périodiques : tous les pouvoirs sont déposés, et le gouvernement reste comme suspendu pendant quelques jours.

Au point où l’ont réduit ces malheureuses transformations politiques, il n’y a aujourd’hui dans le pays que deux catégories de citoyens : celle qui