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DOUZE ANS DE SÉJOUR

ses toges, la mienne étant trempée de pluie ; on approcha un large brasier bien ardent, puis une table bien servie. Mon hôte se crut largement payé de son hospitalité par un collyre, qui heureusement fut efficace ; moi, je me considérai son débiteur, et nous mîmes à profit dans la suite, plus d’une occasion de nous obliger.

Je rejoignis le Prince le lendemain, avant le boute-selle. Il venait d’être prévenu officieusement de la mort de son allié le Dedjadj Conefo, Polémarque du Dambya et de l’Agaw-Médir. Le conseil, réuni sur-le-champ, était d’avis d’hiverner à Goudara, bourgade située sur les confins du Damote et de l’Agaw ; car, de là, nous serions à même de surveiller les chefs remuants de cette dernière province, et d’influer sur les événements en Dambya.

Dès la montée de l’Abbaïe, les contingents de volontaires et d’auxiliaires étaient partis pour chez eux ; un ban fut publié pour désassembler l’armée, et, chef d’avant-garde, seigneurs censiers, haubergiers, bénéficiers, hobereaux, francs tenanciers et vassaux à tous les degrés se dispersèrent rapidement. Les chefs de bandes se rendirent avec leurs soldats dans les quartiers désignés pour leur subsistance d’hiver, et le Prince, ne gardant auprès de lui que quelques familiers et trois ou quatre mille hommes, tant fusiliers que cavaliers et rondeliers, s’achemina vers Goudara. La pluie commençait vers le milieu du jour, nos étapes étaient très-courtes. Nous nous arrangions de façon à arriver de bonne heure à des villages bien pourvus, où nous logions chez l’habitant ; et quoique la présence du Prince ne contînt qu’imparfaitement les exactions des soldats, les paysans les subissaient ordinairement en témoi-