Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/329

Cette page a été validée par deux contributeurs.
321
DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

chargeaient leurs épaules d’un compagnon, d’une femme ou de bagages. Pour obvier à l’insuffisance du gué, les plus impatients se réunissaient par bandes de trois à quatre cents, et serrés les uns contre les autres, ils traversaient le fleuve un peu en amont, escortés par des files de nageurs. Le passage, commencé un peu avant midi, dura jusqu’à la nuit. À mesure que le jour baissait, les crocodiles multiplièrent leurs attaques ; timides ordinairement quand les eaux sont claires, ils s’enhardissent lorsqu’elles sont limoneuses, et s’approchent alors de leurs victimes sans être vus. Cette fois, ils attaquèrent même des hommes qui puisaient de l’eau sur les bords.

Chacun de ces accidents était signalé par de grandes clameurs. Le Dedjazmatch passa l’un des derniers, monté sur son cheval de combat et entouré de nageurs battant l’eau avec des bâtons, tandis que l’armée poussait de grands cris pour éloigner les crocodiles et les ondins. L’obscurité venue, on voyait encore quelques nageurs traversant le fleuve, une torche allumée ou un tison à la main : autre moyen usuel d’effrayer les crocodiles et les esprits. Nous perdîmes une quarantaine d’hommes entraînés par le courant et seize enlevés par les crocodiles ; nous recueillîmes cinq hommes qui n’étaient que mordus. Nous perdîmes aussi quelques bagages, des bêtes de somme, des mules et même quelques chevaux de combat. Bientôt, le mouvement et le vacarme cessèrent ; les feux à perte de vue indiquaient seuls la présence de nos multitudes endormies, aux grondements des eaux du fleuve. Le niveau de l’Abbaïe s’éleva, vers la fin de la nuit, comme pour justifier l’inquiétude générale relativement à l’imminence de cette crue complémentaire ; les sous-bermes et les cours d’eau