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DOUZE ANS DE SÉJOUR

seigneur ; ils devenaient, disaient-ils, responsables de notre présence. Je m’emportai et j’affirmai que, dans ce lieu, je ne goûterais plus ni à pain ni à sel. Vers le soir, ces braves gens voyant que je prenais mon engagement au sérieux, consentirent à nous laisser continuer notre route : mais après environ une demi-heure de marche, nous les retrouvâmes arrêtés de nouveau. L’un d’eux me dit :

— Maintenant tu peux prendre de la nourriture, puisque nous avons changé de campement ; nous sommes obligés, tu le sais, de vous retenir jusqu’au moment où notre maître s’entendra avec vous.

Je ne pus m’empêcher de reconnaître ce qu’il y avait de bonté dans cette concession imaginée par de simples paysans et des soldats indisciplinés.

Le lendemain, vers midi, Gabraïe, suivi de quelques soldats, vint à notre bivouac. C’était un homme d’une quarantaine d’années, maigre, avare de paroles, à l’air distingué, froid et intelligent. S’asseyant au pied d’un arbuste, il nous fit dire de lui donner trente talari et deux bons fusils.

Nous répondîmes qu’en d’autres circonstances nous lui aurions peut-être fait un présent avec plaisir, mais que retenus injustement et comme des trafiquants qui se regimbent contre les péagers, nous étions d’autant plus décidés à refuser, que l’endroit était franc de tout droit ; qu’au surplus, il était le plus fort et pouvait prendre tout ce qu’il voudrait.

— À votre aise, dit-il en souriant dédaigneusement, restez où vous êtes.

Il remonta à mule et partit pour son habitation située à sept heures de marche.

Persuadés que notre volumineux attirail de voyage nous valait cette avanie, puisque je venais de faire