Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/316

Cette page a été validée par deux contributeurs.
308
DOUZE ANS DE SÉJOUR

valeur à la fois civile et militaire. Ils prétendent qu’affaiblir ou effacer le caractère civil de l’homme de guerre est un acte immoral, qui tend à faire de lui un monstre tuant et détruisant pour le seul fait de tuer et de détruire ; que la qualité de soldat ne peut être justifiée que par celle de citoyen convaincu de l’équité de la guerre qu’il fait ; aussi, accordent-ils la préséance sur les engagés volontaires, à ceux qui font campagne pour acquitter un service militaire attaché à leur propriété foncière. Ils disent que les premiers sont des malfaiteurs ; que leurs faits de guerre sont autant de crimes aussi injustifiables que ceux des autres sont dignes d’éloges. Ils disent que le dédoublement des fonctions de citoyen et de soldat est dégradant ; que l’homme perd de sa valeur et de sa dignité en confiant à autrui le soin de le défendre, et que celui qui accepte ce soin devient un être anti-social et un instrument tout fait pour la tyrannie.

Tant que dura l’Empire, tout possesseur de terres, même ecclésiastiques, était tenu de suivre l’Empereur à la guerre ; ceux dont les fonctions impliquaient l’interdiction de répandre le sang de leurs mains, devaient s’en abstenir, mais leur présence était regardée par leurs concitoyens comme une sorte de justification de la guerre. Aujourd’hui, on voit encore dans les armées des hommes qui de leur vie n’ont brandi le sabre ou la javeline, soit à cause de leurs fonctions, soit à cause de leur nature pacifique ; la plupart repousseraient comme un déni de leurs droits l’interdiction de faire campagne. Un jour, quelques indigènes, après avoir écouté attentivement le récit des merveilles accomplies par nos armes sous Napoléon Ier, me dirent qu’on se bat partout et que par-