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DOUZE ANS DE SÉJOUR

moitié étaient aussi blessés. Le centenier qui commandait ces derniers fut tué ; l’autre centenier survécut à ses blessures. Les paysans accourus en armes avaient tenté d’arrêter le combat ; d’un commun accord, les combattants, quoique inférieurs en nombre, leur avaient couru sus, les avaient dispersés, puis ils avaient recommencé à s’entre-détruire. Le lendemain, en relevant les morts, on en trouva qui étreignaient encore leur dernier adversaire. Les vainqueurs attribuèrent leur victoire et l’acharnement du combat aux prouesses et surtout à la verve d’un des leurs, trouvère en réputation. Jamais ses inspirations n’avaient été aussi entraînantes, aussi heureuses ; il y mourut ; mais jusqu’au dernier soupir, il ne cessa d’électriser les deux troupes. Ses camarades étaient à jeun depuis la veille, et quelques-uns se plaignaient d’avoir soif. Voici une des dernières strophes qu’il leur chanta :

« Ô frères, vous avez faim et soif ! ô véritables fils de ma mère,
N’êtes-vous pas des oiseaux de proie ? Allons, voilà les viandes ennemies !
Et moi, je serai votre écuyer tranchant ! en avant !
Et, si l’hydromel vous manque, je vous donnerai mon sang à boire ! »

À la suite de combats importants, il est très-difficile d’arriver à une appréciation exacte du chiffre des pertes ; les indigènes se contentent des termes peu et beaucoup.

Une armée, une fois sérieusement aux prises, a très-rarement su se dégager et opérer sa retraite ; toute l’infanterie reste prisonnière ; la cavalerie se retire par petits détachements et quelquefois par masses. Les troupes vaincues ne sont pas plutôt morcelées et prisonnières, que les vainqueurs se précipitent au