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DOUZE ANS DE SÉJOUR

centre, car les ennemis l’ayant chargé en force une fois dans l’intention de nous couper, s’en détournèrent à portée de traits et ne s’attaquèrent plus qu’à l’avant ou à l’arrière-garde. Le terrain devenait-il mauvais, ils nous précédaient à droite et à gauche et nous attendaient plus loin. Nous fîmes ainsi retraite, au milieu d’attaques, de contre-attaques, de feintes, de ruses et de surprises réciproques, chaque accident de terrain donnant lieu à des manœuvres d’une physionomie nouvelle. Après des tentatives infructueuses contre l’avant-garde, l’ennemi essaya d’entamer l’arrière-garde, en la chargeant obliquement des deux côtés à la fois. Jusque là, le Dedjazmatch était resté à mule ; il monta à cheval, quitta sa toge, et, le front haut, bouclier et javeline en mains avec une trentaine de cavaliers, il se porta en première ligne sur les points les plus menacés. Son calme, ses allures fières et résolues suffisaient à faire reconnaître en lui le chef princier de tous ces combats qui tourbillonnaient dans la plaine ; ses grands yeux étaient fixes, sa lèvre frissonnante souriait de ce sourire particulier à l’homme énergique qui s’anime tout en méprisant le péril. Deux ou trois fois, passant à côté de nos fantassins, il leur cria :

— Bon pas et courage ! nous ne vous laisserons pas ici.

Nos escarmoucheurs se multipliaient pour refuser à l’ennemi toute prise sérieuse. Parfois, une troupe compacte de trente à quarante Gallas s’élançait pour couper un peloton de six à huit cavaliers ; un parti des nôtres s’élançait au secours ; l’ennemi se dérobait en demi-cercle, fuyait penché sur ses chevaux et se couvrant de ses boucliers ; un autre parti ennemi contre-attaquait ; les nôtres voltaient, fuyaient vers