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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

l’idée d’effacer les traces du conquérant musulman. Laissant l’armée au camp sous le commandement du chef d’avant-garde, il partit à la pointe du jour, avec huit à neuf cents cavaliers d’élite, et après environ trois heures de marche, nous atteignîmes le monolithe.

Ce monolithe, haut de près de deux mètres, était dressé au sommet d’une petite butte. L’aspect des terrains environnants donnait à supposer qu’il avait dû être apporté de loin. Sa forme un peu en pointe était celle d’une pierre druidique ; des amulettes, des onctions de beurre, des péritoines d’animaux et des parfums couvraient sa partie supérieure ; des fils votifs de différentes couleurs entouraient sa base, où l’on voyait l’usure produite par les armes que les Gallas y aiguisaient afin de les rendre victorieuses.

— Qui m’aime fasse comme moi ! dit le Prince, en jetant quelques broutilles contre l’idole. Et grâce à l’empressement de chacun, elle disparut sous un énorme bûcher. Bientôt l’intensité des flammes força notre cercle à s’élargir. Nous espérions que la pierre éclaterait ; mais lorsque le combustible se fut affaissé en cendres, elle reparut dans son intégrité. On dispersa le feu. Plusieurs hommes chargèrent à bras un tronc d’arbre, et, balançant leurs efforts, donnèrent à plusieurs reprises de ce bélier improvisé ; mais elle resta encore inébranlée. Les superstitions des assistants s’éveillaient, lorsqu’un homme vigoureux, en ruant une lourde pierre, fit enfin sauter un éclat du sommet. On poussa des hourras.

— Très-bien ! dit le Prince, mais cela ne suffit pas ; dussé-je venir camper ici, il faut que je la détruise.