Le Prince se fit rendre un compte détaillé de notre matinée. Les familiers forcèrent l’entrée ; on fit venir de l’hydromel, les trouvères accoururent, et l’on se mit gaîment à boire jusqu’au repas du soir.
J’avais obéi un peu étourdiment au désir de voir par moi-même ce qu’on me racontait des Gallas guerroyant en enfants perdus. Notre campagne tirait à sa fin, les occasions allaient manquer, et j’avais cru pouvoir sortir un instant de la sécurité qui m’enveloppait auprès du Prince, pour y rentrer sitôt ma curiosité satisfaite. Mais aucun passage étroit n’ayant entravé sa route, l’armée, ce jour-là, avait fait son étape bien plus promptement que d’habitude, ce qui nous avait empêchés de rejoindre l’arrière-garde, quoique pendant plus de quatre heures nous eussions accéléré le pas. Les mœurs militaires indigènes tolèrent des escapades de ce genre ; mais si, d’une part, elles dénotent un esprit d’aventure qui ne déplait pas aux Éthiopiens, de l’autre, elles leur paraissent peu compatibles avec un rang de quelque importance ; aussi le Chalaka Beutto, un des familiers du Prince, regardé comme destiné à un avenir brillant, crut-il devoir s’en justifier comme d’une dernière folie de jeunesse. Ce qui d’ailleurs nous excusait le mieux était notre heureuse chance d’avoir recueilli deux blessés abandonnés par l’arrière-garde.
Quelques années après, l’armée traversait une rivière dont le gué était dangereux, et j’étais en aval avec une troupe de nageurs pour venir en aide aux hommes que le courant entraînait. Parmi ceux qu’on retira de l’eau, il s’en trouva un ayant sur l’abdomen une large cicatrice, et mes gens lui ayant demandé à quelle affaire il avait reçu cette blessure :
— En Liben, dit-il ; votre maître était encore