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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

armes. Beutto, avec sept ou huit cavaliers, ferma la marche.

Bientôt parurent des Gallas se glissant derrière les broussailles sur notre droite, pour nous intercepter le passage ; nous les gagnâmes de vitesse, et ils disparurent sous bois. Nous profitâmes d’un bas-fond pour coucher furtivement dans le lit d’un torrent, et sous des détritus d’arbres, le cadavre de notre compagnon. Nos prudents ennemis, que nous décélaient parfois les accidents du terrain ou le bruit des cailloux roulant sous leurs pas, nous suivaient toujours, mais nous leur échappions. Abba-Boulla, du haut de son grand cheval blanc, ne cessait de braquer vers les points suspects sa carabine qu’il agitait comme un télégraphe. Notre chance, si heureuse jusque-là, nous donna l’espoir de rejoindre les nôtres. Chemin faisant, le blessé nous expliqua sa mésaventure. Le désir de tuer un Galla l’avait porté à s’embusquer dans le camp avec trois de ses camarades ; mais la vue d’un bœuf égorgé, dont la belle viande était presque intacte, les ayant mis en appétit, ils s’oublièrent au point d’en faire des grillades qu’ils mangeaient autour du feu, lorsqu’un javelot, en venant se ficher dans la poitrine de l’un d’eux, fit détaler les trois autres.

Ayant enfin tourné le ravin, nous arrivâmes à un endroit où l’arrière-garde venait d’avoir affaire avec des Gallas embusqués dans des grottes. Un jeune soldat gojamite, couché parmi sept ou huit morts, se souleva sur son bouclier, nous regarda silencieusement d’abord, puis nous dit :

— Ô frères, soyez les bienvenus. Relevez-moi.

Son calme, et la mâle élégance de sa pose me rappelèrent ces gladiateurs des arènes romaines, qui s’étu-