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DOUZE ANS DE SÉJOUR

épuisé les ressources dans un rayon de quelques milles, nous portions nos tentes plus loin. Peu après le départ de l’avant-garde, les batteries des timbales annonçaient que le Dedjazmatch se mettait en marche ; à ce signal, l’armée s’ébranlait en tumulte et évacuait rapidement le camp ; cavaliers, fantassins, fusiliers, femmes, pages, bêtes de charge, porteurs de civières, fourmillaient sans ordre le long de la route ; l’arrière-garde poussait les traînards. Un passage difficile se présentait-il, on mettait des heures entières à le franchir, au milieu d’accidents et de rixes de toutes natures ; ces jours là, l’arrière-garde n’arrivait au camp qu’à la tombée de la nuit. À tel ou tel de ces passages, cinq cents Gallas, bien conduits, eussent pu amener notre déroute complète. La confiance était telle que, malgré la défense du Prince, de petites bandes s’engageaient imprudemment dans le pays sur les flancs de l’armée en marche, et que des maraudeurs se détachaient vers quelque point supposé inexploré ; les Gallas les enlevaient quelquefois, comme aussi quelques traînards. De pareils actes d’indiscipline nous firent éprouver trois ou quatre fois des pertes sensibles ; néanmoins, la moyenne ne dépassait guère une vingtaine d’hommes par jour ; l’ennemi en perdait un nombre bien plus grand.

Nous montâmes sur le deuga du Liben, et nous campâmes dans des plaines boisées où les Gallas nous inquiétèrent beaucoup. De jour, ils attaquaient de tous côtés nos soldats au pillage, et, la nuit, malgré les grands abattis d’arbres dont nous entourions notre camp, ils nous assaillaient de projectiles sur plusieurs points de notre périmètre et tuaient ainsi des hommes endormis, des femmes, des pages, des chevaux ou des mules. Un soir, ces